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ÉVANGÉLINE

Mais on trouvait, au fond, dans un vieux garde-robe,
Des pièces de flanelle et d’étoffe à la mode,
Ouvrage ingénieux, tissu fin et parfait,
Que son habile main au métier avait fait,
Et qu’elle allait offrir pour dot en mariage,
Parce qu’il ferait voir la femme de ménage
Mieux que ne le feraient les plus riches troupeaux.
Elle éteignit sa lampe. Inondant les carreaux
Les reflets argentés de la paisible lune
Dormaient sur le tapis tissé de laine brune ;
Et le sein de la vierge agité par l’espoir,
Au pouvoir merveilleux du bel astre du soir
Obéit doucement comme l’onde et la nue.
Quand son voile glissa de son épaule nue ;
Quand de son fin soulier sortit son beau pied blanc,
Quand ses longs cheveux noirs tombèrent sur son flanc,
Qu’elle parut charmante ! Et, dans sa rêverie,
Elle s’imagina qu’au bord de la prairie,
Amoureux et rusé, Gabriel son amant,
En silence épiait le fortuné moment
Où, devant les rideaux de l’étroite fenêtre,
Il pourrait voir son ombre, un instant apparaître.
Or l’ombre d’un nuage effleura les cloisons
Que la lune éclairait de ses moelleux rayons.
D’une grande noirceur la chambre fut remplie :
Un sentiment de crainte et de mélancolie
Saisit Evangéline. Elle eut comme un remords,
Entr’ouvrit sa fenêtre et regarda dehors.
La lune s’échappait, souriante et volage,
Des plis mystérieux d’un vagabond nuage.
Une étoile aux cils d’or la suivait dans le ciel.
De même qu’autrefois le petit Ismael