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ÉVANGÉLINE

« Leurs énormes canons qui sont braqués sur nous
« Ne nous annoncent point les desseins les plus doux ;
« Mais quels sont ses desseins ? sans doute qu’on l’ignore.
« On sait bien qu’il faudra quand la cloche sonore
« Appellera le peuple à l’église, demain,
« S’y rendre pour entendre un mandat inhumain ;
« Et ce mandat, dit-on, émane du roi George.
« Or, plus d’un paysan soupçonne un coupe-gorge.
« Tous sont fort alarmés et se montrent craintifs !»
Le fermier répondit : — « De plus justes motifs
« Ont sans doute amené ces vaisseaux sur nos rives :
« La pluie, en Angleterre, ou les chaleurs hâtives
« Ont peut-être détruit les moissons sur les champs,
« Et, pour donner du pain à leurs petits enfants,
« Et nourrir leurs troupeaux, les grands propriétaires
« Viennent chercher les fruits de nos fertiles terres.»
— « Au bourg l’on ne dit rien d’une telle raison,
« Mais l’on pense autrement,» reprit le forgeron
En secouant la tête avec un air de doute ;
Et poussant un soupir : « Mon cher Benoît, écoute ;
« L’Angleterre n’a pas oublié Louisbour,
« Pas plus que Port Royal, pas plus que Beau Séjour.
« Déjà des paysans ont gagné les frontières ;
« D’autres sont aux aguets sur le bord des rivières,
« Attendant en ces lieux avec anxiété
« Cet ordre qui demain doit être exécuté !
« On nous a dépouillés, pour combler nos alarmes,
« De tous nos instruments et de toutes nos armes ;
« Seul le vieux forgeron a ses pesants marteaux
« Et l’humble moissonneur ses inutiles faux ! »
Avec un rire franc mais un peu sarcastique
Le vieillard jovial à son ami réplique :