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ÉVANGÉLINE

Pendant que le vieillard chantait dans son fauteuil
On entendit des pas retentir sur le seuil,
Et la clenche de bois bruyamment soulevée
De quelque visiteur annonça l’arrivée.
Benoît reconnut bien les pas du forgeron
Avec ses gros souliers pleins de clous au talon,
Ainsi qu’Évangéline, à l’émoi de son âme,
Où se mêlait le trouble et la plus chaste flamme,
Avait bien deviné qui venait avec lui.
— « Ah ! sois le bienvenu, Lajeunesse, aujourd’hui !
S’écria le fermier en le voyant paraître,
« La gaîté, quand tu viens, semble aussitôt renaître !…
« Veux-tu charger ta pipe avec du bon tabac ?
« J’en ai plus qu’il t’en faut, charge, voici mon sac.
« Viens prendre au coin du feu ta place accoutumée ;
« Et fumons en causant. C’est parmi la fumée,
« Qu’on voit dans leur orgueil se dessiner tes traits !
« Quand tu fumes, ton front, ton visage si frais
« Brillent comme la lune à travers les nuages
« Qui s’élèvent, le soir, au bord des marécages. »
Basile, souriant, suivi de son garçon
Au foyer plein de feu vint s’asseoir sans façon,
Et répondit ainsi ; — « Mon cher Bellefontaine,
« Tu plaisantes toujours et n’as jamais de peine,
« D’autres sont obsédés de noirs pressentiments
« Et ne font que rêver malheurs et châtiments :
« Ils s’attendent à tout : rien ne peut les surprendre….
Puis il s’interrompit quelques instants pour prendre
Sa pipe culottée et le charbon fumant
Qu’Évangéline allait lui porter poliment,
Et bientôt ajouta : « Je n’aime point pour hôtes
« Ces navires anglais mouillés près de nos côtes.