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LE BAISER FATAL

irrésistible et doux qui ramenait, la folle à son foyer, l’amusait plutôt qu’il ne l’inquiétait.

— Ma pauvre Henriette, lui dit-elle un soir, tu aimes mon mari, je crois.

La folle s’attardait. Elle était assise auprès d’une fenêtre par où descendait une gerbe de lumière, et elle regardait tournoyer légèrement, dans ce rayon de feu qui traversait la pièce comme un glaive étincelant, un flot d’atomes invisibles ailleurs. Célestin venait d’entrer, et il se tenait debout contre la cheminée, cherchant d’une main distraite, sur la corniche de bois peint, sa pipe et son tabac. Ses regards tombaient avec complaisance sur sa malheureuse amie et son cœur se serrait dans une angoisse.

Henriette la folle était devenue pâle, et il se faisait un travail singulier dans son esprit. La violence de l’amour qui trouble si souvent notre raison, paraissait dégager la sienne des nuages qui l’obscurcissaient depuis tant d’années. Des larmes mouillaient ses grands yeux d’azur