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UN RÊVE

les heures de mon existence ; il me donne le temps de songer au dernier coup.

Je descendis sur la rive de notre fleuve aimé ; j’avais besoin d’être seul, car je souffrais. Une inquiétude profonde troublait toutes mes joies, et je regardais l’avenir avec effroi. La mer montait, calme, sans bruit, mais implacable comme la mort, et tout disparaissait, sable d’or et cailloux gris, sous un voile éclatant de lumière. Le soleil, en effet, apparaissait alors sur une des cimes bleues des Laurentides, comme un ostensoir céleste sur l’autel du sacrifice. Des nuages blancs, bordés d’une dentelle de feu, s’élevaient mollement comme l’encens du sanctuaire. Et mon âme, bercée par la foi, montait comme eux vers le Dieu trois fois saint qui fit le monde si beau. Je me laissai tomber sur les feuilles et les mousses nées avec le printemps. Une grive solitaire se mit à chanter au-dessus de ma tête, en regardant les flammes du couchant ; un souffle tiède passa sur mon front brûlant,