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LE RÉVEILLON

pective change peu à peu, l’éloignement se mesure mal, les choses revêtent un aspect neuf, les distances s’effacent, les hommes se démasquent et tout s’embrouille. Le réveillon sacré commençait à prendre des airs de profanes agapes, et les pensées dévotes se noyaient un peu dans les vapeurs odorantes des bouillons et des liqueurs, tant il est vrai que la chair est faible, et l’esprit… aussi.

Par bonheur, un vieillard entra. Oh ! il était très vieux ce vieux-là, mais, dans sa carrure, il faisait songer au chêne. Il détacha, en la battant de sa mitaine, la neige qui ceinturait de blanc le bas de son pantalon gris.

— Venez-vous donc de l’église, seul et à pied, lui demanda l’un des convives ?

— Seul et à pied, comme tous les ans à Noël, depuis bientôt trois quarts de siècle, répondit-il avec une certaine fierté.

Il suspendit à un clou son « capot » de mouton noir et son casque de chat sauvage.

— Les mauvais temps vous ont sans