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DU PÈRE RASOY

dide ; il n’avait jamais rien donné, jamais rien promis, même. Mathurin Lefort disait que, dans sa crainte de perdre quelque chose, il ne laissait point de piste derrière lui.

Il avait fait son argent dans le commerce, et la vieille Gritoche Lafond affirmait très sérieusement qu’il avait « déclaré fortune » à l’âge où les autres commencent à distinguer un sou d’un bouton. Entré fort jeune au service d’une maison déjà bien établie, il se fit remarquer par son zèle et son assiduité. Il était né pour les affaires. Son talent se développa vite. Il sut attirer les clients et les engluer. Il lui restait toujours de l’argent après les griffes. Son maître se félicitait d’avoir découvert un pareil « travailleur. » Les ventes allaient à merveille, cependant les profits ne semblaient pas aller en proportion. Après dix ans le patron était en déconfiture, et le serviteur s’installait dans ses comptoirs. Il y serait encore, si la vieillesse n’était venue, et, avec elle, l’affaissement, la maladie et enfin la mort.