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LE BŒUF DE MARGUERITE

quand il disait quelque chose de drôle, et s’il devenait ennuyant, on entendait le murmure des conversations intimes. Quand il vit qu’on ne l’écoutait plus, il prit un verre et dit à Marguerite :

— Marguerite, approche.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

— Tu dois avoir soif, tout le monde est altéré ce soir ; tu dois avoir froid, le vent est sec et coupe comme une lame de couteau ; tu dois avoir faim, le grand air aiguise l’appétit.

Il fit couler dans le verre un filet de rhum d’or. La rude femme s’avança près de la table, la main tendue, la lèvre frémissante.

Pierre Blais, le tanneur, prit un gobelet d’étain et le remplit aussi.

— Je trinque avec Marguerite, annonça-t-il.

— J’ai déjà trinqué avec de plus drôles que toi ; n’importe, je n’ai pas de rancune, repartit la mégère en souriant.

La vue de la liqueur réchauffante l’adoucissait. Le verre et le gobelet se tou-