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général Mercier faisait allusion à la pièce secrète que l’Éclair a rendu publique. Si nous laissons de côté cette pièce et nous le devons, provisoirement, puisqu’elle n’a pas figuré au procès, aucune charge ne s’élevait contre le capitaine Dreyfus, quand il comparut le 19 décembre devant le Conseil de guerre. Après quatre jours de débats, il est constaté qu’il n’a aucune relation suspecte, que les voyages à l’étranger, les besoins d’argent, les habitudes de jeu, la fréquentation des femmes sont des légendes. Le ministère public est obligé de reconnaître la parfaite probité de l’accusé, son honorabilité absolue, la régularité de sa vie.

De quoi est-il accusé ? D’avoir livré des documents à une ambassade étrangère. Qu’apporte-t-on comme preuve ? Une lettre, sorte de mémorandum, contenant la liste des documents livrés. Cette lettre, repoussée par le capitaine Dreyfus est, dit-on, de son écriture. Trois experts l’affirment, et un de ceux-là sera, avant la fin du procès, disqualifié par la Cour d’appel pour une erreur grave, deux experts le nient ; mais l’accusation ne s’appuie réellement que sur une chose : le rapport de M. Bertillon.


LE RAPPORT BERTILLON

Avant de parler de la lettre, analysons ce rapport.

Le capitaine Dreyfus, dit M. Bertillon, a décalqué son écriture tout en y introduisant certaines modifications, pour pouvoir arguer, en cas d’accusation, qu’il n’aurait pas été assez naïf pour écrire le document avec sa propre écriture. Ainsi le capitaine Dreyfus met des déliés au commencement des mots et pas à la fin ; dans la pièce incriminée les déliés n’existent pas au commencement des mots, mais sont ajoutés à la fin : C’est voulu, affirme M. Bertillon.

Le capitaine Dreyfus a l’habitude de mettre dans les mots à deux s, un long ſ d’abord, un petit s ensuite ; dans la pièce incriminée on observe le contraire, ſs, écriture authentique ; sſ, écriture du document : C’est voulu, affirme encore M. Bertillon.

Le mot responsable qui se trouve dans la lettre incriminée n’est pas absolument semblable à l’écriture de l’accusé, il est tremblé au milieu. C’est, dit M. Bertillon, que le capitaine Dreyfus, en écrivant ce mot, a tremblé en pensant aux responsabilités qu’il encourait !

Le mot adresse dans la lettre incriminée représente la signature du capitaine A. Dreyfus !

Telles sont les déductions principales de l’expert.

A son travail, M. Bertillon a ajouté un dessin représentant un bastion central dans lequel le capitaine est établi et dresse ses plans ; de ce bastion partent des tranchées souterraines aboutissant à des redoutes de diverses grandeurs, armées de canons à longue et petite portée ; c’est le graphique du travail mystérieux auquel le traître s’est livré dès son entrée au ministère.