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nécessaire d’y insister, pour montrer l’état d’esprit et l’acharnement inexplicable de celui qui était érigé en juge d’instruction ; il est indispensable de dire comment fut traitée une femme que frappait le plus inattendu, le plus incompréhensible des malheurs. Lorsque j’aurai exposé la conduite de M. du Paty de Clam, on comprendra que le capitaine Dreyfus ait pu dire un jour : « Je n’ai pas eu affaire à des instructeurs, mais à des bourreaux. »

Pendant les dix-sept jours que dura l’instruction, le commandant du Paty de Clam vit journellement Mme Dreyfus. Non seulement il refusa de lui dire quelle était l’accusation qui pesait sur son mari, mais il lui laissa ignorer la prison où il était détenu ; non seulement il ne l’autorisa pas à lui transmettre des nouvelles de sa santé et de celle de ses enfants, dont l’un était malade le jour de l’arrestation, mais il lui défendit d’informer quiconque de ce qui s’était passé. Il lui dit qu’en dehors du ministre et de ceux qui étaient chargés de l’instruction, nul ne devait savoir ce qu’était devenu son mari. Comme Mme Dreyfus objecta qu’elle devait prévenir ses beaux-frères, il lui dit qu’un mot prononcé par elle serait la perte de son mari et que le seul moyen de le sauver était de se taire.

Dès le 16 octobre, alors que l’enquête commençait, le commandant du Paty dit à Mme Dreyfus que toutes les preuves étaient réunies contre le capitaine et lui laissa entendre qu’il encourrait la peine de mort. Mme Dreyfus lui ayant demandé sur quoi s’appuyaient ces preuves, « Sur mon intime conviction », répondit-il. Devant cette femme affolée, plongée dans les ténèbres les plus profondes, ignorant quels pouvaient être les faits reprochés à son mari et protestant de toute sa force contre l’abominable accusation, il traitait le capitaine Dreyfus de lâche, de gredin, de misérable.

Comme il ne trouvait aucune lettre indiquant des relations suspectes, il en concluait à la culpabilité du prisonnier. Quand Mme Dreyfus le questionnait, il lui démontrait que son mari était un scélérat invétéré, capable d’une incroyable dissimulation. Il traçait sous ses yeux un cercle dans lequel il faisait entrer un certain nombre d’hommes susceptibles d’avoir commis le crime mystérieux, puis, traçant d’autres cercles pour éliminer les uns après les autres des soupçonnés, il arrivait au capitaine Dreyfus.

Il affirmait à Mme Dreyfus que son mari avait une vie double, parfaite pour sa famille, monstrueuse en réalité. « Souvenez-vous du masque de fer », lui disait-il d’autres fois, ou bien : « Son gardien, un officier supérieur, a répondu de lui sur sa tête ; si j’étais à sa place, j’aurais tellement peur qu’il ne m’échappe, que je me coucherais au travers de sa porte ; j’épierais son sommeil. » Cependant, il se contredisait parfois, volontairement sans doute ; il laissait espérer la malheureuse femme et le 1er novembre, il lui écrivait qu’elle pouvait attendre une ordonnance de non-lieu.

Je ne commenterai pas ces faits ; une appréciation n’y ajouterait rien ; ils parlent d’eux-mêmes, et la façon dont le commandant