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on peut les remarquer partout où il y a des agglomérations juives constituées en communautés. Ainsi, en Galicie, où, par suite du développement de l’individualisme de la bourgeoisie juive, une partie de la classe moyenne des courtiers et des boutiquiers a été rejetée dans les rangs du prolétariat, prolétariat que cette même bourgeoisie maintient dans un état de misère et d’affaiblissement incroyables et à côté duquel s’est constitué une classe de sans-travail juifs dont le nombre s’accroît tous les jours. N’en est-il pas de même en Russie ? N’y voyons-nous pas le bourgeois juif du haut commerce, de l’industrie et de la finance jouir d’une situation privilégiée, tandis que toutes les lois d’exception, les persécutions et les massacres retombent sur les ouvriers, les artisans et encore les sans-travail. Si nous passons à Londres, parmi cette colonie de Juifs réfugiés, accourus de Russie et de Pologne, ne trouvons-nous pas aussi des classes bien nettes ? Alors que sévissait le sweating système, encore existant d’ailleurs, quoique dans de moindres proportions, n’a-t-on pas constaté que les swetters, les patrons qui exploitaient de la façon la plus rude les ouvriers de l’East End, étaient des patrons juifs ? Il n’en est pas autrement aux États-Unis, où deux cent mille Juifs croupissent à New-York dans une indescriptible misère ; en Algérie, en Roumanie, où les juifs sont soumis au régime que vous connaissez, régime exclusif de toute liberté. Partout, les Juifs sont divisés en une minorité bourgeoise possédante et une majorité prolétarienne.

Mais je n’ai pas ici à développer ce point de vue. Je pense avoir suffisamment établi ce que j’avais à établir, c’est-à-dire que les Juifs constituent une nation. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont une nation que l’antisémitisme existe. Assurément, on ne saurait trop insister là-dessus, le préjugé religieux se trouve à la base de la haine contre Israël, mais ce préjugé religieux implique en même temps l’existence de ce peuple juif sur lequel depuis dix-neuf cents ans retombent les anathèmes de l’Église. Supposez que le christianisme n’eût pas existé et que la diaspora se fût produite, les Juifs, nation sans territoire, peuple répandu parmi les peuples, eussent provoqué quand même l’antijudaïsme. Il eût sans doute été moins violent, et encore cela n’est pas certain, car le judaïsme serait entré aussi bien en conflit avec d’autres principes religieux, comme cela s’est produit à Alexandrie et à Rome. Il y aurait eu le déicide en moins, voilà tout.

Je viens de dire que la cause de l’antisémitisme était l’existence des Juifs en tant que nationalité. Quels sont