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tait à peu près aussi bien qu’un chien, auquel on reconnaissait à peine le droit à la vie, et qui pâtissait doucement, sordidement, avec une résignation d’une humilité peu esthétique. Cependant, si ce Juif émancipé faisait soigneusement son examen de conscience, il reconnaît que l’humilité de l’aïeul est devenue chez lui de la platitude, sa résignation de la lâcheté, et que cependant l’excuse qu’avait le petit Juif d’autrefois n’existe plus aujourd’hui. Parmi ceux dont je parle, parmi les Juifs d’Occident, il en est aussi qui ont essayé d’oublier ce passé vieux d’un siècle, pour pouvoir s’assimiler aux nations au milieu desquelles ils se trouvaient. Sont-ils parvenus à effacer de leur esprit et de leur cœur ce que dix-sept siècles y ont imprimé ? Qu’est-ce que cent ans ? Est-ce suffisant pour abolir l’œuvre de plusieurs millénaires ? Car, en parlant de dix-sept siècles, je méconnais les milliers d’années pendant lesquelles se forma ce peuple Juif que la colère de Rome et la haine de la chrétienté ont semé sur la terre, comme un grain rebelle. Si encore pendant ces cent ans, les animosités et le mépris avaient disparu.

Et, si, malgré tout, ils veulent oublier, n’ont-ils pas un vivant témoignage de ce jadis en voyant la condition présente des Juifs roumains ou des Juifs russes, des Juifs de Perse et de ceux du Maroc. Je me souviens d’un jour où tout ce tragique passé reparut devant moi. C’était à Amsterdam. J’avais erré par les rues du ghetto, poursuivant l’ombre du divin Spinoza et j’étais allé m’asseoir dans la vieille synagogue portugaise pour mieux évoquer l’image de celui que la synagogue poursuivit. J’étais resté longtemps assis sur le banc, devant le sanctuaire dont le bois, dit la légende, vient de Palestine, en face de la plaque de marbre où sont inscrits les noms des Espinoza. Quand je sortis, je vis dans la cour de la synagogue un campement de Juifs russes, et je me crus reporté aux âges d’autrefois, où les troupes de Juifs fugitifs couraient les routes pour échapper à la spoliation, au martyre et au bûcher. Tous les siècles de misère, de désespoir, de résignation et d’obstination héroïque revécurent et ce fut l’Ahasverus légendaire, l’éternel et misérable vagabond que je crus voir passer. Ce n’est certes pas l’anti-sémitisme contemporain qui rayera tout cela de nos mémoires. Et voilà encore un lien vivace entre nous : une histoire commune.

Que comporte-t-elle, cette histoire ? Elle comporte des traditions et des coutumes communes. Traditions et coutumes n’ont pas également persisté, car beaucoup d’entre elles étaient des traditions et des coutumes religieuses, néanmoins elles ont laissé leurs traces en nous,