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Je sais bien qu’on me fera un autre reproche. Au moment où tout s’unifie, me dira-t-on, vous prétendez diviser. Il faut s’entendre. Que veut-on dire quand on parle de l’unification ou de l’homogénéité humaine. On veut dire que, d’une part, grâce à des causes économiques qui permettent des pénétrations plus faciles ; d’autre part, grâce à des causes intellectuelles, les différences qui, jadis, séparaient les peuples deviennent moins saillantes. Un même degré de culture s’établit, parce qu’un même état social se manifeste, et encore faut-il restreindre cela à quelques nations occidentales et du Nouveau-Monde. On veut dire aussi que le domaine des idées communes s’élargit chaque jour, qu’une communion s’établit, par-dessus les frontières, entre les individus possédant ce maximum de connaissances qui place les intelligences sur le même plan, et que le nombre de ces individus s’accroît chaque jour. C’est là une constatation : faut-il en tirer, comme conséquence une sorte de dogme qui enjoindrait de tout faire pour uniformiser les hommes ? Je n’en vois pas l’utilité. Rien ne me paraît si nécessaire pour l’humanité que la variété. Ceux qui disent le contraire commettent une grave erreur, ou, pour mieux dire, ils oublient une chose capitale. L’humanité pour eux est une expression anthropologique, une expression politique, ou une expression économique ; elle doit cependant être encore autre chose : elle doit être une expression esthétique. Pour qu’elle ne cesse pas de l’être, il faut premièrement maintenir en elle cette variété. Les hommes ont à leur disposition un certain nombre d’idées générales, qui appartiennent au trésor de l’espèce. Mais chaque individu a une façon particulière d’exprimer ces idées générales et ces conceptions. De même pour les groupes d’individus ; ils rendent la beauté différemment, ils ont une plastique qui n’est pas la même ; la matière qu’ils ont à leur disposition, la matière commune, ils la rendent harmonique de diverses façons. La richesse humaine est faite de ces variétés. Ainsi tout groupe humain est nécessaire, il est utile à l’humanité, il contribue à mettre de la beauté dans le monde, il est une source de formes, de pensées, d’images. Pourquoi caporaliserait-on le genre humain, pourquoi le ferait-on se courber sous une règle unique, en vertu de quoi lui imposerait-on un canon dont il ne devrait pas s’écarter ?

D’ailleurs la plupart des socialistes, même internationalistes, sont-ils bien conséquents avec eux-mêmes, conforment-ils leurs actes à leurs doctrines ? Ne demandent-ils pas maintenant, et ils ont raison, l’autonomie des