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tinent à ne pas céder, quel sera l’unique condition de leur liberté individuelle ? Ce sera la conquête de la liberté collective qu’ils ont perdu, c’est-à-dire la renaissance de leur nationalité. Cette contrainte les empêche également de donner tout ce qu’ils ont en eux, une partie de leurs forces étant dépensée dans cette résistance, dans cette lutte qui leur permet uniquement de garder leur puissance de développement, sans que ce développement se puisse effectuer. C’est encore la reconstitution de leur nationalité qui leur sonnera la faculté de s’épanouir.

N’est-ce pas actuellement le cas de ces juifs russes, ou roumains, etc., dont je parle ? Sont-ils susceptibles, étant donné l’état dans lequel on les maintient de donner la mesure de ce qu’ils peuvent produire ? N’en sera-t-il pas de même demain pour les Juifs occidentaux, quand ils seront dans l’obligation d’employer leur énergie au combat contre l’antisémitisme, éternel combat, lutte perpétuelle, faite de violence et de désastres, propre à épuiser la minorité qui la soutient.

Que signifie pour le Juif le mot nationalisme, ou plutôt que doit-il signifier ? Il doit signifier liberté. Le Juif qui aujourd’hui dira : « Je suis un nationaliste », ne dira pas d’une façon spéciale, précise et nette, je suis un homme qui veut reconstituer un État juif en Palestine et qui rêve de conquérir Jérusalem. Il dira : « Je veux être un homme pleinement libre, je veux jouir du soleil, je veux avoir droit à une dignité d’homme. Je veux échapper à l’oppression, échapper à l’outrage, échapper au mépris qu’on veut faire peser sur moi ». À certaines heures de l’histoire, le nationalisme est pour des groupes humains la manifestation de l’esprit de liberté.

Suis-je ainsi en contradiction avec les idées internationalistes ? Aucunement. Comment m’accorderai-je donc avec elles ? Simplement en me gardant de donner aux mots une valeur et un sens qu’ils n’ont pas. Quand les socialistes combattent le nationalisme, ils combattent en réalité le protectionnisme et l’exclusivisme national ; ils combattent ce patriotisme chauvin, étroit, absurde, qui conduit les peuples à se poser les uns en face des autres comme des rivaux ou des adversaires décidés à ne s’accorder ni grâce ni merci. C’est là l’égoïsme des nations aussi odieux que l’égoïsme des individus et aussi méprisable. Que suppose maintenant l’internationalisme ? Mais il suppose évidemment des nations. Que signifie être internationaliste ? Cela signifie établir entre les nations des liens non pas d’amitié diplomatique, mais de fraternité humaine. Être internationaliste, cela veut dire abolir la