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cher avec lui les moyens de combattre l’antisémitisme, car il n’y songe en aucune façon. En général il plie, reçoit les coups et pense à l’âge futur où on lui fera meilleure figure dans le monde. En cela seulement il est chrétien : quand on le frappe sur la joue droite, il tend la gauche, et même l’échine.

Laissons si vous le voulez bien les Juifs de France. Ils sont les meilleurs agents de l’antisémitisme. Au lieu de réagir contre leurs ennemis, ce qui rehausserait leur dignité personnelle, accentuerait leur personnalité intellectuelle et morale, ils s’évertuent — à de rares exceptions près — à développer leur acceptation passive du mal et leur lâcheté. Ils préconisent la politique du silence et attendent tout du temps. L’exemple des Juifs d’Autriche leur semble bon à suivre et ils marchent sur leurs traces. Laissons les donc en attendant que nous puissions les remuer. Ils sont une minorité infime ; qu’est-ce que cent mille juifs, alors que plus de six millions patissent dans le monde ? Cent mille seraient une force incalculable s’ils étaient une élite, mais ils sont un rebut et un déchet, sauf une mince couche prise dans la petite bourgeoisie, qui n’a pas encore pris conscience de la situation nouvelle qui lui est faite par l’existence de l’antisémitisme et par son développement. Voyons plus haut. Aujourd’hui la question juive se pose avec plus de force que jamais. De tous côtés on lui cherche une solution. Il ne s’agit plus en réalité de savoir si l’antisémitisme doit ou non gagner des sièges dans les Parlements, il s’agit de savoir quel doit être le destin des millions de Juifs disséminés aux quatre coins du globe ; tel est le vrai problème.

Tant que le christianisme existera, les Juifs, répandus, parmi les peuples, susciteront les haines et les colères, et la condition qui leur sera faite sera, soit matériellement, soit moralement, inférieure ; qu’ils ne puissent jouir de leurs droits de citoyens ou d’homme, ou qu’ils soient en butte à une certaine forme du mépris, le résultat est le même. Quelle solution à cela ? L’anéantissement du christianisme ? Voilà un idéal fort lointain malheureusement, et en attendant, que faire. Je sais bien que pour les peuples chrétiens il y aurait la solution arménienne, mais leur sensibilité ne peut leur permettre d’envisager cela. D’autre part, il n’est pas possible que nous, Juifs, nous acceptions des conditions d’existence incompatibles avec notre dignité d’hommes. Nous avons le droit de nous développer de toutes manières, il faut que ce droit nous soit garanti de façon effective, il faut, puisque je laisse de côté la grande majorité des Juifs émancipés, qui se trouvent sans doute bien, ce