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désappris la solidarité[1]. Après en avoir acquis le sens, après l’avoir conservé par l’habitude, ils n’ont pu le perdre même en perdant la foi, car c’était devenu chez eux un instinct social, et les instincts sociaux, lentement formés, sont lents à disparaître. Il faut aussi remarquer que, s’ils étaient entrés dans les nations avec des droits égaux à ceux des nationaux, ils étaient cependant une minorité. Or, le développement de l’associationnisme dans les minorités est une loi, une loi qui peut se ramener à celle de la conservation. Tout groupe, en présence d’une masse, comprend que, s’il veut subsister à l’état de groupe, il doit unir toutes ses forces ; pour résister à la pression extérieure, qui menace de le désagréger, il faut qu’il forme un tout compact, en un mot qu’il devienne une minorité organisée. La minorité juive est une minorité organisée ; non pas qu’elle ait des chefs, des princes théocratiques, un gouvernement et des lois, mais parce qu’elle est une association de petits groupes, groupes fortement assemblés, et se soutenant mutuellement. Tout Juif trouvera, lorsqu’il la demandera, cette assistance de ses coreligionnaires, à condition qu’on le sente dévoué à la collectivité juive, car, s’il paraît hostile, il ne recueillera que l’hostilité. Le Juif, même lorsqu’il a

  1. L’Alliance Israélite universelle, fondée en 1860 par Crémieux et qui compte plus de trente mille adhérents souscripteurs, n’a pu qu’accroître la solidarité juive. Le but de l’Alliance est de libérer moralement et intellectuellement le Juif des pays orientaux en fondant des écoles, en outre de pallier à leur oppression et de travailler même à leur émancipation totale.