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borent encore des croyances populaires. Mais le préjugé le plus vivace, celui qui symbolise le mieux le séculaire combat du judaïsme contre le christianisme, c’est le préjugé du meurtre rituel. Le Juif a besoin de sang chrétien pour célébrer sa pâque, dit-on encore. Quelle est l’origine de cette accusation, qui date du douzième siècle[1] ?

On voit nettement comment naquit l’identique accusation que les Romains portèrent contre les premiers chrétiens : elle provint d’une conception réaliste de la Cène, d’une interprétation littérale des paroles consacrées sur la chair et le sang de Jésus[2]. Mais comment les Juifs, dont les livres mosaïstes protestent de l’horreur du sang, ont-ils eu à pâtir et pâtissent-ils encore d’une telle croyance ? La question demanderait à être discutée à fond. Il faudrait examiner les théories de ceux qui prétendent que les sacrifices humains sont d’origine sémitique, tandis qu’en réalité on les trouve dans tous les peuples, à un certain stade de civilisation[3] ; il faudrait montrer,

  1. C’est à Blois, en 1171, que pour la première fois les Juifs furent accusés d’avoir crucifié un enfant à l’occasion de leur fête de Pâques. Le comte Théobald de Chartres, après avoir soumis l’accusateur des Juifs à l’épreuve de l’eau, épreuve qui lui fut favorable, fit brûler, comme coupables, trente-quatre Juifs et dix-sept Juives.
  2. Les Mandéens accusaient les chrétiens de pétrir leurs hosties avec le sang d’un enfant juif, et les Chinois affirment que les missionnaires catholiques égorgent leurs enfants et font des philtres avec leurs cœurs. Certaines émeutes, en Chine, n’ont pas eu d’autre cause.
  3. Jephté, sacrifiant sa fille, correspond à Agamemnon