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devinrent fatalement cosmopolites. Ils ne se rattachèrent plus en effet à aucune unité territoriale, et n’eurent qu’une unité religieuse. Ils eurent bien une patrie, mais cette patrie, la plus belle de toutes, comme chaque patrie d’ailleurs, fut placée dans le futur, ce fut la Sion rénovée, à laquelle nulle terre n’est comparée, ni comparable ; patrie spirituelle qu’ils aimèrent d’un si ardent amour qu’ils devinrent indifférents à toute terre, et que chaque pays leur parut également bon, ou également mauvais. Ils vécurent enfin dans des conditions telles, et si affreuses, qu’on ne put leur demander de se donner une patrie d’élection, et, leur instinct de solidarité aidant, ils restèrent internationalistes.

Les nationalistes furent conduits à les regarder comme les plus actifs propagateurs des idées d’internationalisme ; ils trouvèrent même que le seul exemple de ces sans-patrie séculaires était mauvais, et qu’ils détruisaient par leur présence l’idée de la patrie, c’est-à-dire chaque idée spéciale de la patrie. C’est pour cela qu’ils devinrent antisémites, ou plutôt c’est pour cela que leur antisémitisme se renforça. Non seulement ils accusèrent les Juifs d’être des étrangers, mais encore d’être des étrangers destructeurs. Le conservatisme des exclusivistes rattacha le cosmopolitisme à la révolution ; il reprocha aux Juifs d’abord leur cosmopolitisme, ensuite leur esprit et leur action révolutionnaires. Le Juif a-t-il réellement des tendances à la Révolution ? Nous allons l’examiner.