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de sa race, la même conception que les antijuifs du moyen âge. Le Juif les préoccupe et les hante, ils le voient partout, ils ramènent tout à lui, ils ont de l’histoire une conception identique à celle de Bossuet. Pour l’évêque, la Judée avait été le centre du monde ; tous les événements, les désastres et les joies, les conquêtes et les écroulements comme les fondations d’empire avaient pour primitive, mystérieuse et ineffable cause les volontés d’un Dieu fidèle aux Béné-Israël, et ce peuple tour à tour errant, créateur de royaumes et captif avait dirigé l’humanité vers son unique but : l’avènement du Christ. Ben Hadad et Sennacherib, Cyrus et Alexandre semblent n’exister que parce que Juda existe, et parce qu’il faut que Juda soit tantôt exalté et tantôt abattu, jusqu’à l’heure où il imposera à l’univers la loi qui doit sortir de lui. Mais ce que Bossuet avait conçu dans un but de glorification inouïe, les antisémites chrétiens le rénovent avec des intentions contraires. Pour eux, la race juive, fléau des nations, répandue sur le globe, explique les malheurs et les bonheurs des peuples étrangers chez qui elle s’est implantée, et de nouveau l’histoire des Hébreux devient l’histoire des monarchies et des républiques. Châtiés ou tolérés, chassés ou accueillis, ils expliquent, par le fait même de ces diverses politiques, la gloire des États ou bien leur décadence. Raconter Israël, c’est raconter la France, ou l’Allemagne, ou l’Espagne. Voilà ce que voient les antisémites chrétiens, et leur antisémitisme est ainsi purement théologique, c’est celui des Pères, celui de