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Victime de la haine du cardinal de Richelieu, le célèbre maréchal de Bassompierre fut mis à la Bastille en 1631, et n’en sortit qu’à la mort du ministre. La délivrance du maréchal inspira ces vers à un poète ; c’est Bassompierre qui parle :

« Enfin dans l’arrière-saison,
La fortune d’Armand s’accorde avec la mienne.
France, je sors de prison
Quand son âme sort de la sienne. »

Le roi Louis XIII accueillit favorablement Bassompierre et lui demanda son âge. Le maréchal, qui avait alors soixante ans, dit à sa majesté qu’il n’en avait que cinquante. Cette réponse surprenait le roi. — « Sire, » ajouta l’habile courtisan, « je retranche dix années passées à la Bastille, parce que je ne les ai pas employées au service de votre majesté. »

En 1634 on fit quelques réparations à la Bastille tant pour fortifier ce château que pour en agrandir les dépendances. Le 18 juin 1663, Nicolas Fouquet, surintendant-général des finances, accusé de concussion, fut transféré de Vincennes à la Bastille, sur un ordre du roi, contresigné Le Tellier.

La disgrâce de Fouquet nous rappelle Pellisson, dont l’infortune, moins méritée, fut supportée aussi honorablement. Lors de la chute du surintendant, Pellisson, premier commis de Fouquet, resta fidèle au malheur. Il fut mis à la Bastille ; là tous les moyens furent employés pour lui arracher les secrets de son bienfaiteur. On lui offrit sa liberté, de l’or ; Pellisson résista. Dans le même cachot fut enfermé un allemand chargé de rapporter toutes les paroles qui échappent parfois à la captivité trop confiante. Pellisson le devina et bientôt sa résignation, sa bonté gagnèrent le cœur de cet homme, qu’il réhabilita en l’associant à son infortune. À l’aide de cet agent, Pellisson répandit dans le public trois mémoires en faveur de Fouquet. Louis XIV, irrité, donna l’ordre de traiter le prisonnier avec la dernière rigueur ; l’encre et le papier qui lui servaient à défendre son ami lui furent enlevés. On lui laissa seulement quelques ouvrages des Pères de l’Église et plusieurs livres de controverse. Un basque grossier et stupide, qui tirait des sons monotones d’une musette, n’offrait au pauvre prisonnier qu’une faible distraction contre la solitude. Pellisson sut bientôt se créer une nouvelle société : dans un soupirail qui reflétait une lumière douteuse sur sa prison, une araignée avait tendu sa toile ; Pellisson résolut d’apprivoiser l’insecte. Au moment où le basque jouait de son instrument, Pellisson plaçait des mouches sur le bord du soupirail, l’araignée peu à peu s’enhardissait, et allait saisir sa proie que le prisonnier éloignait pour familiariser l’insecte. Au bout de quelques mois, l’araignée était habituée au son de la musette, et allait saisir la mouche jusque sur les genoux du prisonnier. D’autres consolations pénétrèrent dans cette triste demeure. Le public applaudissait à la noble conduite de Pellisson et de nombreux amis sollicitaient sa liberté. Louis XIV, revenu de ses préventions, finit par l’accorder. Pellisson consacra le souvenir de sa délivrance en brisant tous les ans à la même époque, les chaînes de quelques prisonniers.

L’homme au masque de fer entra à la Bastille le 18 septembre 1698, à trois heures après midi. Il portait an masque de velours noir, bien attaché sur le visage, et qu’un ressort tenait derrière la tête. Il logeait dans la tour de la Bertaudière. Sa mort arriva presque subitement le 19 novembre 1703. Il fut enseveli dans un linceul de toile neuve et enterré à Saint-Paul le lendemain, à quatre heures, sous le nom de Marchiali, en présence de M. Rosarges, major du château, et du sieur Beilh, chirurgien-major de la Bastille, qui ont signé sur les registres de Saint-Paul. Son enterrement a coûté 40 livres.

François-Marie-Arouet de Voltaire, âgé de 22 ans, fut mis à la Bastille le 17 mai 1717, pour avoir composé des poésies contre le régent et la duchesse de Berri. L’une de ces pièces avait pour titre : Puero regnante. Sorti de prison le 11 avril 1718, il fut mis de nouveau à la Bastille, le 28 mars 1726 ; voici à quelle occasion : Voltaire avait été insulté d’une manière indigne par M. de Rohan-Chabot. Il fut arrêté et conduit dans cette forteresse pour avoir cherché le moyen de se venger. À peine fut-il en prison, qu’il écrivit une lettre au ministre du département de Paris, au sujet de son incarcération. Nous nous bornerons à citer un fragment de cette lettre : « Je remontre très humblement à son excellence que j’ai été assassiné par le brave chevalier de Rohan, assisté de six coupe-jarrets, derrière lesquels il était hardiment posté. J’ai toujours cherché depuis ce temps l’occasion de réparer, non mon honneur, mais le sien, ce qui était trop difficile, etc. » Voltaire sortit de prison le 29 avril suivant.

Thomas Arthur de Lally, âgé de 61 ans, natif de Romans en Dauphiné, grand’croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, lieutenant-général des armées du roi, fut arrêté à Fontainebleau par un officier de la prévôté de l’hôtel, et conduit à la Bastille le 1er novembre 1762, en vertu d’un ordre du roi expédié par M. de Choiseul. Il fut accusé d’avoir été la cause de la perte de tous les établissements français dans l’Inde. Le parlement lui fit son procès ; il fut condamnée avoir la tête tranchée en place de Grève, par arrêt du 6 mai 1766. Le jugement fut exécuté le 9 du même mois, à cinq heures du soir. — Nous nous sommes attachés à ne citer que les principaux personnages enfermés dans cette forteresse, pour ne pas sortir des limites que nous nous sommes tracées.

Ce fut sous le règne de Louis XV que M. Phélipeaux de Saint-Florentin fit élever plusieurs bâtiments pour servir de logements aux officiers de l’état-major. La Bastille offrait un vaste édifice dont le plan aurait figuré un parallélogramme régulier, si les deux tours du milieu n’eussent formé une espèce d’avant-corps. On y comptait huit grosses tours.