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bois en la cour de la Bastille pendant vingt jours. Il y avoit à cette cage deux cent vingt gros bonjons de fer, les uns de neuf pieds de long, les autres de huit, et les autres moyens, avec les rouelles, les pommelles et contrebandes servants auxdits bonjons, pesant, tout ledit fer, 3 735 livres, entre huit grosses équières de fer servant à attacher ladite cage, avec les crampons et cloux pesants ensemble 218 livres de fer, sans compter le fer des treillis des fenestres de la chambre où elle fut posée, des barres de fer de la porte de la chambre et autres choses, revient à 317 livres 5 sols 7 deniers. Et fut payé, outre cela, à un maçon, pour le plancher de la chambre où était la cage, 27 livres 14 sols parisis, parce que le plancher n’eût pu porter cette cage à cause de sa pesanteur, et pour faire des trous pour poser les grilles des fenestres, et à un menuisier la somme de 90 livres 2 sols parisis pour portes, fenestres, couche, selle percée, et autres choses ; plus 46 sols 8 deniers parisis à un vitrier pour les vitres de ladite chambre. Ainsi, monte la dépense, tant de la chambre que de la cage, à la somme de 367 livres 8 sols 3 deniers parisis, etc… » Sauval, tome 3, page 428.

Comme on l’indique, les prisons de la Bastille ne restèrent pas dégarnies sous ce règne ; Louis XI enfonçait aussi bien ses griffes de fer dans les camails soyeux des évêques que dans les manteaux dorés des ducs et pairs. Si quelqu’imprudent avait un instant rêvé un joyau de sa couronne, Louis XI le devinait ; fût-il l’allié, le frère ou l’ami du roi, l’étreinte était cruelle, l’imprudent ne bougeait plus.

Au commencement de l’année 1589, le parlement de Paris fut enfermé à la Bastille ; voici à quelle occasion : Bussi-Leclerc, qui de maître-d’armes était devenu procureur au parlement, fut, après l’évasion de Henri III, élevé par la Ligue à la dignité de gouverneur de la Bastille. Le 16 janvier, Bussi-Leclerc, accompagné de 25 hommes, tous déterminés ligueurs, se transporte au palais, pénètre dans la grand’chambre, le pistolet à la main : « Conformément au décret de la Sorbonne, » dit-il insolemment, « que tous les Français soient déliés du serment de fidélité et d’obéissance envers le roi, et qu’on ne mette plus son nom dans les arrêts. » Il se retire alors, rentre peu de temps après suivi de sa troupe, et s’écrie, avec l’accent de la plus vive colère : « Puisque vous délibérez aussi longtemps sur une requête aussi juste, vous prouvez par là qu’il existe des traîtres parmi vous. » Alors, tirant un papier de sa poche : « Que ceux dont je vais appeler les noms me suivent à l’Hôtel-de-Ville, où le peuple les demande. » Le premier président de Harlay est aussitôt nommé. Alors tous les conseillers se lèvent : « Nous n’avons pas besoin, » disent-ils, « d’une plus longue lecture, nous suivrons tous notre président. » L’assemblée comptait ce jour-là plus de 60 membres ; Bussi-Leclerc se met à leur tête. Ils traversent le pont au Change, au milieu des flots de la populace qui les accabla d’outrages. Ils arrivent enfin sur la place de l’Hôtel-de-Ville, où les clameurs augmentent. Bussi leur fait prendre le chemin de la Bastille. À peine sont-ils arrivés, qu’il intime l’ordre de les enfermer tous. Pour les obliger à se racheter plus tôt, le gouverneur ne leur fit donner que du pain et de l’eau, et le peuple exprimai sa satisfaction dans des couplets où Bussi-Leclerc était désigné sous le nom de grand pénitencier du parlement.

Charles de Gontaut, duc de Biron, pair et maréchal de France, convaincu d’intelligence avec l’étranger, eut la tête tranchée dans la cour de la Bastille, le 31 juillet 1602.

Il avait été condamné la veille. Dans cet intervalle, ses parents s’étaient adressés au roi pour demander que l’exécution eût lieu à la Bastille, afin d’épargner au maréchal la honte d’un supplice en place de Grève. Henri IV accorda cette triste faveur à Biron. Quand on lut au maréchal ce passage de la sentence : pour avoir attenté à la personne du roi : — « Il n’en est rien, s’écria-t-il, cela est faux ! ôtez cela ! » — Il répéta allant au supplice : — « À la vérité, j’ai failli ; mais pour la personne du roi, jamais ! non, jamais ! » — Quelques moments après, ses gardes consternés viennent lui baiser la main. Il monte sur l’échafaud, regarde autour de lui d’un air inquiet, cherchant la hache du bourreau qu’on cache à ses yeux. Alors un tremblement général le saisit, il tombe à genoux. Au moment où l’on s’approche du maréchal pour lui couper les cheveux, il s’écrie d’une voix tonnante : « Qu’on ne m’approche pas ! si je me mets en fougue, j’étrangle la moitié des gens qui sont ici. » — Son œil étincelant, son geste, sa menace glacent d’effroi les plus hardis. Peu à peu il se calme, se remet à genoux, et le bourreau lui abat la tête d’un seul coup.

Le roi ne se montra pas aussi sévère à l’égard des autres coupables.

Charles de Valois, comte d’Auvergne et duc d’Angoulême, un des complices du maréchal, plus coupable que Biron, eut néanmoins la vie sauve. Il était frère utérin d’Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, maitresse de Henri IV.

Quoique la Bastille fût affectée principalement aux prisonniers d’État, cependant le roi Henri IV y fit garder le trésor royal ; c’est ce que nous apprend le poète Regnier, dans sa treizième satire :

« Prenez-moi ces abbés, ces fils de financiers,
Dont depuis cinquante ans les pères usuriers,
Volant de toutes mains, ont mis en leur famille
Plus d’argent que le roi n’en a dans la Bastille. »

Sully nous dit dans ses Mémoires : « Vers l’an 1610 le roi avoit pour lors quinze millions huit cent soixante-dix-huit mille livres d’argent comptant dans les chambres voûtées, coffres et caques étant en la Bastille, outre dix millions qu’on avoit tirés pour bailler au trésorier de l’épargne. »