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pour ses enfants. Parmi ses bourreaux, il reconnut un de ses paroissiens, et lui dit : « Mon ami, je te reconnais. — Eh oui ! lui répondit l’anthropophage, et moi aussi, je vous reconnais : je sais que dans plusieurs occasions vous m’avez rendu service. — Comme tu m’en paies ! répliqua le bon curé. — Je ne saurais qu’y faire, reprit le bourreau : ce n’est point ma faute ; la nation le veut ainsi, et la nation me paie. » Ayant achevé ces mots, le cannibale fit signe à ses camarades ; tous ensemble saisirent ce vénérable prêtre et le jetèrent par la fenêtre ; sa cervelle se répandit sur le pavé, ses membres palpitèrent pendant plusieurs minutes. Depuis sa mort on a ouvert son testament, on a trouvé qu’il léguait tous ses biens aux pauvres de sa paroisse. »

La pièce suivante mérite d’être reproduite.

« Commune de Paris

« M. le trésorier de la commune payera à M. Gilbert Petit 48 livres pour prix du temps qu’ils ont mis, lui et trois de ses camarades, à l’expédition des prêtres de Saint-Firmin pendant deux jours. À la maison commune, ce 4 septembre l’an IV de la liberté et Ier de l’égalité, suivant la réquisition qui nous est faite par la section des sans-culottes qui les a mis en ouvrage. Signé Nicout, Jérôme Lamark, commissaires de la commune. » (Suit la légalisation des signatures). Au dos est écrit « Reçu la somme de 48 livres ; et au-dessous Gilbert Petit a fait sa croix. »

Les bâtiments de Saint-Firmin ont été vendus par le domaine de l’État ainsi qu’il suit : Le premier contrat, à la date du 17 thermidor an IV, porte dans sa désignation église et bâtiments du collége Saint-Firmin ; le second indique ainsi les portions aliénées : maisons dite le collége des Bons-Enfans, jardin et dépendances. La vente est du 29 avril 1808. Les maisons portant les nos 70, 72 et 74 représentent aujourd’hui les immeubles aliénés en l’an IV ; et les nos 66 et 68 ceux qui ont été vendus en 1808. Dans ces derniers bâtiments a été placée l’institution des Jeunes-Aveugles dont nous rappelons ici l’origine.

Le fils d’un pauvre paysan de la Picardie, Valentin Haüy, rendit aux aveugles par d’ingénieux procédés les mêmes services que l’abbé de l’Épée avait rendus aux Sourds-Muets.

Ainsi que ce bienfaiteur de l’humanité nous l’apprend lui-même, un hasard assez singulier amena la fondation de l’établissement des Jeunes-Aveugles.

En 1783, Mlle Paradis, aveugle, célèbre pianiste de Vienne, vint donner des concerts à Paris. Avec des épingles placées en forme de lettres sur de grandes pelotes, elle lisait rapidement, de même qu’elle expliquait la géographie par le moyen de cartes en relief, dont l’invention appartient à un aveugle, Weissembourg de Manheim. Ayant eu l’occasion d’entendre plusieurs fois Mlle Paradis, Valentin Haüy comprit tout le parti que l’on pouvait tirer de cette ingénieuse méthode pour l’enseignement des infortunés qui sont privés de la vue. Pénétré de la sainte mission qu’il avait à remplir, il y consacra tous ses instants. En 1786 Haüy publia une brochure sur les moyens d’instruire les aveugles. Un jour, à la porte de l’église Saint-Germain-des-Prés, il rencontra un enfant, un pauvre aveugle qui demandait l’aumône pour sa vieille mère infirme ; Haüy donna du pain à la femme et emmena le fils dans sa maison. Là, tout entier à son œuvre, il s’appliqua à réveiller tous les instincts, toutes les sensations si vives dans une nature incomplète ; il chercha les moyens d’éclairer cette jeune intelligence, il y parvint !… Fier de son élève, Haüy le présenta bientôt à la société philanthropique qui, satisfaite de ce premier essai, donna des fonds à l’instituteur et une maison située dans la rue Notre-Dame-des-Victoires, où furent admis douze élèves.

Le succès dépassa toutes les espérances. Haüy et ses écoliers furent présentés au roi et à la cour. Les résultats vraiment étonnants de leurs exercices excitèrent un intérêt général. Haüy reçut de nouveaux encouragements qui lui permirent d’augmenter le nombre de ses élèves.

L’institution des Jeunes-Aveugles fut soutenue par l’Assemblée Constituante qui la réunit à l’établissement des Sourds-Muets. Placés aux Célestins, les Jeunes-Aveugles furent ensuite transférés à l’hôpital Sainte-Catherine, situé au coin des rues Saint-Denis et des Lombards. Un arrêté des Consuls, du 26 pluviôse an IX, prescrivit leur réunion à l’hospice des Quinze-Vingts.

Une ordonnance royale du 24 décembre 1817 autorisa l’administration de l’Institut royal des Jeunes-Aveugles, à aliéner aux enchères publiques, sur la mise à prix de 220 000 francs, l’ancien hôpital Sainte-Catherine. La même ordonnance permettait d’affecter le produit de cette vente à l’acquisition des bâtiments de l’ancien collége Saint-Firmin. Une seconde ordonnance du 20 mai 1818 modifia celle qui précède, seulement en ce qui concernait l’obligation de vendre aux enchères publiques l’ancienne maison Sainte-Catherine.

En vertu d’une ordonnance royale du 11 août 1838, l’État s’est rendu acquéreur le 25 septembre suivant d’un terrain situé rue Masseran, et qui contient en superficie 11 805 m. Des constructions ont été élevées, et bientôt l’institution des Jeunes-Aveugles y sera transférée. Les bâtiments ont été exécutés sous la direction et d’après les dessins de M. Philippon, architecte. La façade principale donne sur le boulevart des Invalides, celle qui lui est opposée regarde la rue Masseran, et les deux côtés sont sur la rue de Sèvres et la Petite-rue-des-Acacias. Le développement des bâtiments est de 460 m. Le fronton de l’édifice est dû au ciseau de M. Jouffroy, sculpteur. Le sujet choisi par l’artiste est en parfaite harmonie avec l’établissement : d’un côté, on voit Valentin Haüy qui instruit ses élèves ; de l’autre, une femme donne des leçons aux jeunes filles aveugles. Au milieu apparaît la religion qui les encourage et les protège.