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Les clercs du parlement jouaient sur la célèbre table de marbre, et ceux du Châtelet élevaient un théâtre devant la porte de ce tribunal. Les pièces représentées étaient à peu près improvisées ; les jeunes comédiens stigmatisaient tous les abus, raillaient tous les ridicules de l’époque avec l’audace et la franchise de leur âge. On lit dans les registres du parlement à la date du 15 mai 1476 : « La cour, par certaines considérations à ce mouvans, a deffendu et deffend à tous les clercs et serviteurs tant du palais que du chastelet de Paris, de quelque estat qu’ils soient, que doresnavant ils ne jouent publiquement au dict palais et chastelet, ne ailleurs, ne en lieux publiqs, farces, soties, moralisez, ne aultre jeux à convocation de peuple, sur peine de bannissement de ce royaume et de confiscation de tous leurs biens, et qu’ils ne demandent congié de ce faire à la dicte cour ne à autre, sur peine d’estre privez à tous jours tant du dict palais que du dict Chastelet. »

Ils tentèrent encore sous Charles VIII de donner quelques représentations publiques ; mais leur critique s’étant exercée sur les actes du gouvernement, le roi, par lettres-patentes du 8 mai 1486, fit enfermer dans les prisons du Châtelet et du Palais, cinq acteurs nommés Baude, Regnaux, Savin, Duluc et Dupuis.

Les théâtres de la basoche jouirent d’une entière liberté sous le règne de Louis XII. Les clercs tournèrent en ridicule les vues d’économie du roi. « J’aime beaucoup mieux, disait Louis XII, faire rire ces enfants de mon avarice, que faire pleurer le peuple de mes profusions. »

Sous François Ier, la cour prit des mesures sévères contre les clercs de la basoche. On lit dans les registres du parlement, à la date du 23 janvier 1538 : « Ce jour après avoir veu par la cour le cry ou jeu présenté à icelle par les receveurs de la basoche pour jouer jeudy prochain ; la dicte cour a permis auxdits receveurs iceluy cry ou jeu faire jouer à la table de marbre, en la manière accoutumée, ainsi qu’il est à présent, hormis les choses rayées ; leur a faict deffenses sous peine de prison et de punition corporelle de faire jouer autre chose que ce qui est, hormis les dictes choses rayées. »

Il fallait voir au printemps, les enfants de la basoche, revêtus de leur costume éclatant, et leur roi en tête, partir à cheval pour la forêt de Bondy. Ils y coupaient trois grands arbres, en vendaient deux pour faire face aux dépenses de la compagnie. Quelques vieillards se souviennent avoir vu, en face du siège actuel de la police municipale, le dernier de ces arbres, entre deux cartouches représentant les armes de la basoche qui étaient d’azur, à trois écritoires d’or avec deux anges pour supports.

Parmi les rois curieux d’embellir et d’honorer le palais, Louis XII doit être mis au premier rang. Sa prédilection pour cet édifice et pour l’auguste sénat qui y siégeait allait même si loin, qu’il se faisait un devoir de venir passer des heures entières dans une tribune qu’il avait fait construire au milieu de la grand’chambre. Quand des rois et des princes étrangers le venaient visiter, il les menait d’abord à la salle des plaids, et avait coutume de leur dire, émerveillés qu’il les voyait de la noble attitude des magistrats et de l’éloquence du barreau : « n’est-ce pas, mes frères, qu’on est heureux et fier d’être roi de France !… »

Cet amour pour le palais alla si loin, que ce roi, dont les courtisans raillaient l’économie, sema avec profusion la richesse dans le sanctuaire de la justice. Louis XII fit peindre en or et en azur la grand’chambre.

Le splendide hôtel de la Cour-des-Comptes fut aussi construit par les ordres de ce prince. Rien ne fut épargné pour donner au bâtiment la majesté et la grandeur que réclamaient son importance et son utilité. De vastes salles, de somptueux appartements ornés de tout ce que le luxe du XVIe siècle pouvait imaginer de plus élégant, témoignaient encore dans ces derniers temps, de la sollicitude du fondateur de la Cour-des-Comptes.

Au dehors, une façade sévère rehaussée par des bas-reliefs et des sculptures d’un grand mérite, arrêtait l’œil du curieux.

Du côté faisant face à la cour, on remarque cinq statues : la première représente la Tempérance, qui tient une horloge et des lunettes. Au-dessus est écrit :

Temperantia
Mihi spreta voluptia.

La Prudence, qui est la seconde figure, tient en ses mains un miroir et un crible, avec cette légende au dessous :

Prudentia
Consiliis verum speculor.

La Justice est représentée par la troisième figure avec une balance et une épée :

Justitia
Sum cuique ministro.

La quatrième figure est la Force, qui tient une tour d’une main, et de l’autre étouffe un serpent :

Fortitudo
Me dolor atque metus me fugiunt.

La cinquième statue, posée au milieu, représentait Louis XII, le père du peuple, vêtu d’un manteau dont le fond était d’argent avec des fleurs de lys d’or. Il tenait son sceptre et la main de justice avec cette inscription au bas :

Ludovicus
hujus nominis duodecimus, anno ætatis 46.

Un peu plus bas étaient gravés ces deux vers :

Quatuor has comites foveo, celestia dona :
Innocuæ pacis prospera sceptra gerens.

Au-dessus de la première porte de la chambre de Comptes, au haut du grand degré, on voyait un porc-épic qui portait les armes de France, entourées de cerfs-volants. Au bas ces deux vers :

Regia Francorum probitas, Ludovicus honesti
Cultor, et ætheræ religionis apex.