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ses efforts, Condé voit tomber à ses côtés ses meilleurs officiers. Le vicomte de Turenne s’apprête à porter un coup décisif. Déjà les royalistes défilent à droite et à gauche, par Conflans et Popincourt ; en se rapprochant, ils doivent envelopper le faubourg Saint-Antoine. Cette manœuvre est exécutée, les soldats de Condé vont être écrasés. En ce moment on entend le canon de la Bastille, Mademoiselle fait ouvrir la porte Saint-Antoine aux troupes du Prince. « Il y entra des derniers, dit un acteur de cette terrible scène, comme un dieu Mars, monté sur un cheval tout couvert d’écume. Fier encore de l’action qu’il venait de faire, le grand capitaine portait la tête haute et élevée ; il tenait son épée toute ensanglantée à la main, traversant ainsi les rues de Paris au milieu des acclamations et des louanges qu’on ne pouvait se dispenser de donner à sa brillante valeur. » Des mousquetaires placés sur les remparts arrêtèrent les royalistes qui poursuivaient l’arrière-garde du prince, et le canon de la Bastille tonna contre les troupes de Turenne. Au commencement du combat, le cardinal Mazarin était placé avec le roi sur les hauteurs de Ménilmontant. Les regards du ministre embrassaient les mouvements des deux armées. Vers la fin de l’action, un courrier apporta une dépêche du vicomte de Turenne. Le cardinal en prit lecture. Un dernier coup de canon se fit entendre, puis le ministre, se tournant vers un groupe d’officiers généraux, dit en souriant, de ce sourire qui annonçait une vengeance : « Mademoiselle a eu la prétention d’épouser le roi, ce boulet de canon vient de tuer son mari. » — Une autre scène également déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine le 27 avril 1789. Un riche fabricant de papiers peints, Réveillon, qui, par son habileté commerciale, fournissait du travail à plus de trois cents ouvriers, fut accusé d’avoir cherché à réduire les salaires à moitié prix. La populace se porta avec fureur à sa maison et la détruisit de fond en comble.

La rue du Faubourg-Saint-Antoine fut longtemps le forum où grondait la colère du peuple.

La maison no 232 appartenait en 1791 au fameux Santerre, qui s’élança d’une brasserie pour diriger les masses qui attaquèrent, au 10 août, le palais des Tuileries.

Santerre, général, se distingua dans la guerre de la Vendée. Son ancienne profession lui valut cette épitaphe grotesque que l’histoire effacera peut-être :

« Ci-git le général Santerre
Qui n’eut de Mars que la bierre. »

Au no 333, à l’angle de la rue des Boulets, on voit une maison d’assez belle apparence, mais dont les fenêtres sont garnies de barreaux de fer.

Une inscription est placée au-dessus de la porte d’entrée ; on y lit ces trois mots : maison de santé. En effet, depuis longtemps cette propriété est affectée au traitement des aliénés.

Il y trente et un ans environ, un général compromis dans un complot républicain avait été enfermé la Force ; sur sa demande, il fut transféré en 1812 dans la maison de santé du faubourg Saint-Antoine.

Là, sans argent, privé de sa liberté, seul il conçut le projet de renverser le gouvernement impérial.

Ce conspirateur, ce général était Malet.

Il s’ouvrit à un certain abbé Lafon.

Malet était républicain et le prêtre royaliste, mais tous deux abhorraient Napoléon.

Voici quel était le plan du général.

Il supposait l’empereur mort le 8 octobre sous les murs de Moscou ; le sénat devait être investi du pouvoir suprême. Ce fut donc par l’organe du sénat qu’il résolut de parler à la nation. Il rédigea pour l’armée une proclamation dans laquelle, tout en déplorant la perte du chef de l’État, il annonçait l’abolition du régime impérial et le rétablissement de la république. Cette proclamation était signée par tous les sénateurs. Un décret nommait le général Malet gouverneur de Paris et commandant de la 1re division militaire. D’autres décrets donnaient des grades de nouveaux commandements à tous ceux que Malet comptait faire servir à l’exécution de ses desseins.

Les bases ainsi fixées, Malet n’attendit plus qu’une circonstance favorable pour agir.

Le dernier bulletin de l’armée, daté du 27 septembre, avait annoncé en même temps que l’entrée des Français à Moscou, le terrible incendie qui avait détruit cet unique refuge de nos soldats.

Ce triste événement avait produit une profonde sensation dans la capitale.

On était au 15 octobre, et depuis trois semaines le gouvernement n’avait publié aucune nouvelle.

Les fonctionnaires ne cachaient point leurs vives appréhensions.

Tout paraissait favoriser l’exécution du plan de Malet. Le soir du 22 octobre ses dispositions sont arrêtées. Vers minuit, à un signal convenu, le jardinier applique une échelle sur le mur de clôture bordant la rue des Boulets.

Malet descend le premier dans la rue, l’abbé Lafon le suit ; et tous deux se dirigent vers la place de la Bastille. Ils arrivent bientôt dans la rue Neuve-Saint-Gilles, chez un prêtre nommé Caamagno, où se trouvent le caporal Rateau et le répétiteur Boutreux, fidèles au rendez-vous que le général leur avait assigné la veille.

Rateau livre à Malet les mots d’ordre et de ralliement. Le général annonce la mort de Napoléon et les conséquences qu’elle doit produire. Il nomme Rateau son aide-de-camp et Boutreux commissaire de police. Après avoir endossé les uniformes qui ont été préparés, tous se rendent à la caserne Popincourt, occupée par la 10me cohorte de la garde nationale. Il était deux heures du matin.

Malet se présente au nom du commandant de Paris. Il est introduit sans difficulté. Soulié, le chef de cette