droit. Ils détachèrent aussitôt les cordes qui comprimaient
un mauvais linge tout taché de sang. Alors un
cadavre roula sur les dalles de l’église ! Ils le placèrent
dans la fosse, qu’ils remplirent de terre, puis la pierre
qu’on avait descellée fut remise avec précaution, et les
deux hommes sortirent. Le corps qu’on venait d’inhumer
était celui de Concini, maréchal d’Ancre, assassiné
le matin par ordre de Louis XIII. Le lendemain, à
7 heures, un domestique rôdait, furetait dans l’église.
Arrivé près des orgues, il aperçut quelques morceaux
de terre. « C’est bien là, » dit-il ; puis on le vit sortir
et se diriger vers le cloître, où un attroupement s’était
déjà formé. « Mes amis, cria-t-il à plusieurs ouvriers,
ce chien d’Italien a été enterré sous les orgues, laisserons-nous
son cadavre en terre sainte ? Non, hurla
cette foule, à la voirie le beau maréchal ! » Ils rentrèrent
dans l’église, guidés par le domestique. Le valet
commença par gratter avec les ongles, et parvint à
trouver les jointures des pierres, qu’il enleva à l’aide
de son couteau. Alors il découvrit les pieds du cadavre
et tira sans pouvoir amener le reste du corps. « Prenons,
dit-il, les cordes des cloches ; » on les lui
apporte, plusieurs viennent à son aide, et le corps est
déterré, aux cris de vive le roi !… Le grand prévôt
arrive enfin, suivi de quelques archers ; aussitôt il est
entouré par la multitude qui lui crie qu’on va l’enterrer
lui-même s’il approche davantage. Le corps de Concini
fut tiré hors de l’église par la grande porte, et traîné
dans la boue jusqu’au Pont-Neuf, près d’une potence
qui avait été construite un mois auparavant par le
commandement dudit maréchal, contre ceux qui n’estoient
pas de son haleine. Le valet s’adressa de nouveau
à la foule. « Mes amis, l’Italien a voulu me faire pendre,
il est bien juste que je lui rende le même service. »
Alors il porte lui-même le corps sur la potence, l’attache,
et le pend par les pieds ; puis montrant son
chapeau, il dit au peuple : « J’espère que vous jetterez
tous quelque chose là-dedans ; besogne si utile mérite
récompense. » Cette demande fut trouvée si raisonnable,
« que son chapeau fust remply de sols et
de deniers que chacun lui portoit comme à l’offrande ;
jusques aux plus pauvres gueux et mendiants, dont
tel n’avoit qu’un denier en son pouvoir, qui ne laissoit
pas que de lui porter de bon cœur. » Quelques
moments après, le peuple se rua de nouveau sur le
cadavre de Concini ; les uns lui coupèrent le nez et les
oreilles, les autres lui abattirent les bras, « puy luy
coupèrent la teste, et tous ces morceaux estoient
portés et traisnés en divers quartiers de la ville, avec
des cris, acclamations et imprécations horribles dont
le retentissement alloit d’un bout de la ville à l’autre. »
La maréchale demanda la cause de ces cris ; ses gardes
lui annoncèrent la mort de son mari, « et elle qui
n’avoit pas encore respandu de larmes, monstra s’émouvoir
grandement, sans pleurer toutes fois. » Les
clameurs du peuple semblaient se rapprocher, le fils
de Concini, qui se trouvait au Louvre, s’informa froidement
si on en voulait à sa vie. On lui répondit qu’il
était en sûreté. « Tant-pis, murmura-t-il tristement, il
vaudrait mieux qu’on me tuât que d’être ainsi misérable
le reste de ma vie »… Alors les archers
ouvrirent les fenêtres qui donnaient sur le pont, et lui
firent voir le cadavre de son père, qui vacillait sur la
potence. « Apprends, dit l’un d’eux, en frappant avec
familiarité sur l’épaule du jeune homme, apprends à
mieux vivre que lui. » La multitude se dirigea vers
la rue de l’Arbre-Sec, trainant toujours le cadavre
mutilé de Concini. « Alors il y eut un homme vestu d’écarlate, si enragé, qu’ayant mis sa main dans le
corps ouvert, il en tira sa main toute sanglante, et la
porta dans la bouche pour sucer le sang, et avaler
quelque petit morceau qu’il en avoit arraché, ce qu’il
fist à la veue de plusieurs honnestes gens qui estoient
aux fenestres. Un autre eut moyen de lui arracher le
cœur, et l’aller cuire sur les charbons, et manger publiquement
avec du vinaigre. Ce peuple impatient et ne
pouvant estre plus longtemps en un lieu, traîna le corps
jusqu’en Grève, où ils le rependirent à une autre
potence, que ledit maréchal y avoit fait planter, et ils
pendirent par mesme moyen une grosse poupée qu’ils
avoient faite avec le linceuil dans lequel il avoit esté
enterré, pour représenter la maréchale en effigie. »
Enfin, après avoir assemblé les fragments des potences
qu’ils avaient brisées, ils y mirent le feu et jetèrent au
milieu les restes de Concini. L’on vit alors quelques forcenés ramasser les cendres qu’ils vendirent le lendemain
un quart d’escu l’once. — Mais détournons les
regards de ce tableau révoltant, et revenons à Saint-Germain-l’Auxerrois.
Dans cette église furent baptisés : en 1316, Jean Ier, fils posthume de Louis-le-Butin, lequel n’ayant vécu que huit jours, n’a pas été compté parmi nos rois ; en 1389, Isabelle de France, fille de Charles VI ; en 1573, Marie de France, fille de Charles IX.
En 1744, eut lieu la réunion du chapitre de Saint-Germain-l’Auxerrois à celui de la cathédrale. Une année après cette réunion, les marguilliers firent exécuter des travaux considérables. Le chœur, fermé à la hauteur des arcades des bas-côtés, fut entièrement ouvert tel qu’on le voit aujourd’hui. Des colonnes lourdes et de mauvais goût remplacèrent les piliers gothiques ; le jubé, l’un des plus beaux de France après ceux de la Madeleine de Troyes et de Saint-Étienne-du-Mont, disparut à son tour.
Plusieurs personnages célèbres ont été enterrés dans cette église.
Nous devons citer Pomponne de Bellièvre, surnommé le Nestor de son siècle ; il mourut en 1607. — Malherbe, le premier qui ait revêtu notre langue d’ornements gracieux ; il mourut en 1628. À son dernier moment, il reprit sa servante sur un mot qui ne lui semblait pas français, et son confesseur lui représentant qu’en l’état où il était il ne devait pas songer à de pareilles futilités Malherbe répliqua brusquement :