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de ne prendre que deux sous par personne, et pour la location de chaque loge, durant ledit mystère, que la somme de trente écus. Le spectacle devait commencer à une heure après midi et finir à cinq ; les entrepreneurs étaient en outre tenus de verser une somme de mille livres au profit des pauvres. — François Ier ayant ordonné par lettres-patentes du 20 septembre 1543, la démolition de l’hôtel de Flandre, les confrères de la Passion furent obligés de placer ailleurs leur théâtre. Le 18 juillet 1546, ils achetèrent une partie de l’hôtel de Bourgogne, situé dans la rue Mauconseil, et bâtirent un pouveau théâtre. Ils adressèrent ensuite une requête au parlement à l’effet d’y continuer leurs jeux. La cour rendit le 17 novembre de la même année un arrêt « qui inhibe et défend aux sieurs suppliants de jouer les mystères de la Passion de Notre-Sèigneur, ni autres mystères sacrés, sous peine d’amende arbitraire, leur permettant néanmoins de pouvoir jouer autres mystères profanes, honnêtes et licites, sans offenser ni injurier aucunes personnes, et défend la dite cour, à tous autres de jouer ou représenter dorénavant aucuns jeux ou mystères tant en la ville, faubourg que banlieue de Paris, sinon que sous le nom de la dite confrérie et au profit d’icelle. » Le plus important privilège, celui de jouer des mystères, fut donc enlevé aux confrères de la Passion, qui furent obligés de créer un nouveau répertoire composé seulement de pièces profanes. Ils s’associèrent avec les enfants sans souci, ou principauté de la sottise, dont le chef était connu sous le nom de prince des sots. Cette confrérie, formée sans doute par des comédiens de profession, avait pris naissance peu de temps après celle de la Passion ; c’était une troupe nomade qui donnait plusieurs fois dans l’année des représentations à Paris.

Sous le règne de Louis XII, le Mardi-Gras de l’an 1511, ces comédiens représentèrent aux halles une sotie ou pièce satirique dirigée contre le pape Jules II. Cette sotie était intitulée : Le Jeu du Prince des Sois et Mère-Sotte.

Le pape, sous le personnage de Mère-Sotte, s’exprime ainsi :

Si deussai-je de mort mourir
Ainsi qu’Abiron et Dathan,
Ou damnée être avec Satan,
Si me viendront-ils secourir ;
Je ferai chacun accourir
Après moi, et me requérir
Pardon et merci à ma guise,
Le temporel veux acquérir
Et faire mon nom florir,
En bref voilà mon entreprise.

Je me dis, Mère Sainte-Église,
Je veux bien que chacun le note,
Je maudis, j’anathématise ;
Mais sous l’habit pour ma devise
Porte l’habit de Mère-Sotte.

Bien sçais qu’on dit que je radotte
Et que suis folle en ma vieillesse,
Mais grumeler veux à ma porte
Mon fils le prince en telle sorte
Qu’il diminue sa noblesse.

Puis le pape ou plutôt Mère-Sotte parle ainsi des prélats de la cour :

Mais dessous les courtines,
Ont créatures féminines.
Tant de prélats irréguliers !
Tant de moines apostats !
Il y a un tas d’asniers
Qui ont bénéfices à tas.

Arrive un personnage nommé La Commune, qui représente le peuple français ; il s’exprime ainsi :

Les marchands et gens de mestier
N’ont plus rien, tout va à l’église.

Mais bientôt Mère-Sotte cherche à attirer les seigneurs français dans son parti ; et voyant qu’elle n’y peut réussir, elle excite les membres du clergé qu’elle a séduits à combattre la royauté, en leur disant :

Prélats, debout, allarme, allarme,
Abandonnez église, autel,
Que chacun de vous soit bien farme,
Que l’assaut aux princes on donne
J’y veux être en propre personne,

. . . . . . . . . .


À l’assaut, prélats, à l’assaut !

Puis Mère-Sotte faisant allusion au roi de France, disait :

… Je vueil par fas ou néphas
Avoir sur lui l’autorité
De l’espiritualité
Je jouis, ainsi qu’il me semble ;
Tous les deux vueil mesler ensemble.

La commune déclare alors que les rois ne veulent plus souffrir que le pape s’empare du temporel. Le pape persiste et répond :

Veuillant ou non, ils le feront,
Ou grande guerre à moi auront

. . . . . . . . . .


Du temporel jouir voulons.

Un combat s’engage, Mère-Sotte est vaincue. Le roi de France s’aperçoit alors que le pape n’est pas l’Église, qu’il s’est déguisé et qu’il n’est que Mère-Sotte.

Peut-être que c’est Mère-Sotte,
Qui d’Église a vestu la cotte,
Par quoy il faut qu’on y pourvoie.

Le Prince

Je vous supplie que je la voie.

Gayeté

C’est Mère-Sotte, par ma foy.

Le roi se décide alors à détrôner le pape.

Mère-Suite, selon la loi,
Sera hors de sa chaire mise.