Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


tant un broc d’une main et tenant de l’autre un panier rempli de cornes semblables à celles des moissonneurs. Le marchand hurlait à tue-tête :

Bon vin à bouche bien espicé.

Puis des femmes de la halle, aux larges épaules, aux manches retroussées, criaient de toute la force de leurs poumons :

J’ai châtaignes de Lumbardie.
J’ai roisin d’outremer — roisin !
J’ai porées et j’ai naviaux,
J’ai pois en cosse tous noviaux.

Plus loin on voyait une grosse et joyeuse commère qui portait sur le ventre tout l’attirail d’un restaurateur. Elle arrêtait les passants, en leur débitant cette petite chanson :

Chaudes oublées renforcies,
Galètes chaudes, eschaudez,
Roinssolles, ça denrée aux dez.

Parfois de jeunes et jolies filles de la campagne venaient offrir les plus belles fleurs et les meilleurs fruits de la saison, en murmurant d’une voix douce :

____Aiglantier…
Verjux de grain à fère aillie.
__Alies i a d’alisier.

Souvent on voyait quelques fripiers échappés de la rue Tirechape qui arrêtaient les clercs aux mantes râpées, en leur disant :

Cote et surcot rafeteroie (je raccommode).

Et comme ces écoliers avaient plus de trous aux genoux et aux coudes que de blancs d’Angelots ou de sols Parisis dans leurs surcots, ils s’esquivaient tout honteux pour se soustraire à l’importunité de ces chevaliers de l’aiguille.

Telle était, aux XIVe et XVe siècles, la physionomie de la rue des Vieilles-Étuves.

Le droit de tenir des bains appartenait à la communauté des maîtres barbiers et perruquiers. On lisait sur leur enseigne : Céans, on fait le poil proprement et l’on tient bains et estuves.

Dans la haute société, les personnes que l’on priait à dîner ou à souper étaient en même temps invitées à se baigner. « Le roi et la reine (dit la Chronique de Louis XI) firent de grandes chères dans plusieurs hôtels de leurs serviteurs et officiers de Paris, entr’autres le dixième de septembre 1467, la reine, accompagnée de Madame de Bourbon, de Mademoiselle Bonne de Savoie, sa sœur, et de plusieurs autres Dames, soupa en l’hôtel de maître Jean Dauvet, premier président au parlement, où elles furent reçues et festoyées très noblement, et on y fit quatre beaux bains richement ornés, croyant que la reine s’y baignerait, ce qu’elle ne fit pas, se sentant un peu mal à l’aise et aussi parce que le temps était dangereux, et en l’un des dits bains se baignèrent Madame de Bourbon et Mademoiselle de Savoie et dans l’autre bain, à côté, se baignèrent Madame de Monglat et Perrette de Châlons, bourgeoises de Paris… Le mois suivant, le roi soupa à l’hôtel de sire Denis Hesselin, son panetier, où il fit grande chère et trouva trois beaux bains richement tendus pour y prendre son plaisir de se baigner, ce qu’il ne fit pas parce qu’il était enrhumé et qu’aussi le temps était dangereux. »

La cérémonie du bain était une de celles qu’on observait le plus exactement à la réception d’un chevalier. Charles VI voulant faire chevaliers Louis et Charles d’Anjou, « ces deux princes (dit la Chronique) parurent d’abord comme de simples écuyers, n’étant vêtus que d’une longue tunique de drap gris-brun sans aucun ornement. On les mena dans leur chambre où leurs bains étaient préparés ; ils s’y plongèrent. On leur donna ensuite l’habit de chevalier, de soie vermeille (cramoisie), fourré de menu-vair (petit-gris) ; la robe traînante avec le manteau fait en manière de chappe. Après le souper on les conduisit à l’église pour y passer la nuit en prières, selon la coutume. Le lendemain matin, le roi revêtu du manteau royal entra dans l’église, précédé de deux écuyers qui portaient deux épées nues, la garde en haut et d’où pendaient deux paires d’éperons d’or ; il leur donna l’accolade et leur ceignit le baudrier de chevalerie. Le sire de Chauvigni leur chaussa les éperons et l’évêque leur donna la bénédiction. »

« Pendant le repas (dit une ancienne ordonnance), le nouveau chevalier ne mangera, ni ne boira, ni ne se remuera, ni ne regardera ça et là non plus qu’une nouvelle mariée. »

Les étuves ou bains publics servaient de rendez-vous, et les femmes galantes venaient y cacher leurs dérèglements. On aurait pu donner à ces lieux de plaisir et de prostitution un nom moins honnête. Maillard, dans un sermon remarquable par une énergique crudité d’expressions, s’éleva contre ces désordres. « Mesdames (dit-il), n’allez-vous pas aux estuves et n’y faites-vous pas ce que vous savez. »

Les bains se maintinrent longtemps. On cessa cependant d’y aller vers la fin du XVIIe siècle et auparavant les estuves élaient si communes (dit Sauvai) qu’on ne pouvait faire un pas sans en trouver.


Étuves-Saint-Martin (rue des Vieilles-).

Commence à la rue Beaubourg, nos 11 et 13 ; finit à la rue Saint-Martin, nos 64 et 66. Le dernier impair est 19 ; le dernier pair, 16. Sa longueur est de 110 m. — 7e arrondissement, quartier Sainte-Avoie.

Cette rue était déjà construite en 1280. Son nom lui vient des estuves aux femmes, qu’on voyait au coin de la rue Beaubourg. Ces bains, dont il est fait mention dans des lettres de Philippe-le-Bel en 1313, avaient pour enseigne le Lion d’Argent. En 1350 c’était la rue Geoffroy-des-Bains ou des Estuves. On voyait autrefois dans cette rue une petite maison vieille et sans appa-