sa qualité de commandant de la garde parisienne. La
cérémonie avait été fixée au 14 juillet, jour anniversaire
de la prise de la Bastille. Déjà les fédérés arrivaient
de toutes les parties du royaume ; on les logeait
chez des bourgeois, qui s’empressaient de leur rendre
agréable le séjour de la capitale. La fête devait avoir
lieu au Champ-de-Mars. On avait projeté de creuser
cette plaine et de transporter la terre sur les côtés
pour en former un large et magnifique amphithéâtre.
Douze mille ouvriers, dépourvus d’autre besogne, y
étaient employés ; mais ce travail mercenaire n’avançait
pas et il était immense. Dans cet embarras, les
districts invitent au nom de la patrie les bons citoyens
à aider les ouvriers. Cette invitation électrise
tous les cœurs ; les femmes propagent l’enthousiasme.
Aussitôt on voit sortir de tous les quartiers de la
grande cité, des citoyens marchant deux à deux. Des
séminaristes, des écoliers, des manœuvres, des militaires,
des chartreux vieillis dans la solitude, courent
au Champ-de-Mars, une pelle sur le dos. Là, tous les
citoyens sont mêlés, confondus, et forment un atelier
immense, mobile. La courtisane agaçante se trouve
à côté de la jeune fille pudibonde qu’elle respecte ; le
capucin traine la brouette avec le chevalier de Saint-Louis,
le portefaix avec l’élégant du Palais-Royal ; la
robuste harengère travaille avec la jeune dame délicate
et à vapeurs. Des tavernes ambulantes, des boutiques
portatives, augmentent la variété du tableau. On entend
un bruit confus de cris, de chants, de tambours,
auxquels se mêle la voix des travailleurs qui s’appellent
ou s’encouragent. L’âme était profondément émue
en contemplant un peuple qui semblait revenir aux
doux sentiments d’une fraternité primitive ! Neuf heures
sonnent !… Les groupes se séparent. Chaque
citoyen regagne l’endroit où sa section doit se placer
et va se réunir à sa famille. Le 14 arrive enfin. Tous
les fédérés, députés des provinces et de l’armée, se
rangent sous leurs bannières, et partent de la place de
la Bastille pour se rendre aux Tuileries. Les envoyés
du Béarn, en passant dans la rue de la Ferronnerie,
où le bon Henri avait été assassiné, pleurent d’attendrissement
en parlant de ses vertus. Les fédérés,
arrivés au jardin des Tuileries, ouvrent leurs rangs et
reçoivent la municipalité et l’assemblée. Le chemin qui
conduit au Champ-de-Mars était couvert de peuple
qui battait des mains. Les hauteurs de Passy présentaient
un vaste amphithéâtre rempli de spectateurs. Un
pont jeté en quelques jours sur la Seine, aboutissait
en face du champ de la Fédération. Le cortège le
traverse et chacun prend place. Un amphithéâtre
magnifique, disposé dans le fond, avait été destiné
aux autorités nationales. Le roi, la reine et le président
étaient assis à côté l’un de l’autre, sur des sièges pareils,
semés de fleurs-de-lys d’or. La reine était derrière
Louis XVI, sur un balcon qui portait aussi les dames
de la cour. Les ministres se trouvaient à quelque distance
du roi, et les députés étaient rangés des deux
côtés. Quatre cent mille spectateurs remplissaient les
amphithéâtres latéraux. Au centre s’élevait le magnifique
autel de la patrie. Trois cents prêtres, revêtus
d’aubes blanches et d’écharpes tricolores, en couvraient
les marches et devaient servir la messe. L’arrivée
des fédérés dura trois heures. Le temps était
sombre et la pluie tombait par torrents. Enfin la cérémonie
commence. Le ciel tout à coup se découvre et
illumine de son brillant éclat cette scène imposante.
L’évêque d’Autun commence la messe. Les chœurs
accompagnent la voix du pontife ! Le canon mêle son
bruit solennel ! Le saint sacrifice s’achève ! La Fayette
descend alors de cheval et va recevoir les ordres du
roi, qui lui donne la formule du serment. Le général
la transmet à l’autel. Dans ce moment, toutes les bannières
s’agitent, tous les sabres étincellent. Le général,
l’armée, le président, les députés crient : Je le jure !
Le roi, debout, la main élevée sur l’autel, dit : « Moi
roi des Français, je jure d’employer le pouvoir que
m’a délégué l’acte constitutionnel de l’État, à maintenir
la constitution décrétée par l’Assemblée Nationale
et acceptée par moi. » Dans ce moment, la
reine, entraînée par l’émotion générale, saisit dans ses
bras l’auguste enfant, héritier du trône, et, du haut
du balcon où elle est placée, le montre à la nation
assemblée. Ce mouvement inattendu est payé de mille
cris de Vive le Roi ! vive la Reine ! vive le Dauphin !…
Les fêtes durèrent plusieurs jours, et l’accord qui
régnait dans Paris semblait annoncer que les haines
étaient éteintes. Cette joie, ce bonheur furent de courte
durée. Les fédérés quittèrent la capitale et la lutte
recommença.
Le 17 septembre de la même année eut lieu sur le champ de la Fédération une cérémonie funèbre relative aux massacres de Nancy, où le jeune Désilles perdit la vie. Le 17 juillet 1791, un grand nombre de citoyens se réunirent dans cette plaine pour signer une pétition contre le décret qui, au lieu de juger le roi sur sa fuite, suspendait provisoirement l’exercice de son pouvoir. Une émeute éclata. Le maire de Paris, Bailly, et le général La Fayette firent exécuter la loi martiale. Il y périt un grand nombre de factieux. Cet exemple sévère apaisa pour quelque temps les agitateurs.
Le 30 frimaire an II eut lieu la fête civique en l’honneur de Chalier, qui eut la tête tranchée à Lyon. Le 10 nivôse, on y célébra l’abolition de l’esclavage. Le 1er vendémiaire an VII eut lieu sur cette place la première exposition de l’industrie française. Le 3 novembre 1804, le lendemain du couronnement de Napoléon, l’empereur fit au Champ-de-Mars la distribution de ses aigles. Le 1er mai 1815, on y proclama l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire.
Le Champ-de-Mars fut encore en 1837, le théâtre d’un déplorable événement. À l’occasion de la fête donnée par la ville de Paris pour célébrer le mariage du duc d’Orléans, cette place fut choisie pour représen-