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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

le coupable n’ayant pas avoué sa faute, avait voulu les entraîner en son palais pour les y livrer à la fureur de son père. Pour contrecarrer ces noirs desseins et obtenir sa protection, il fit appel à l’esprit de son « tongwak ». Ses traits se marbrèrent, devinrent tendus. Sa volonté concentra sa pensée, comme le ferait un mathématicien aux prises avec un problème insoluble de calcul infinitésimal.

Il fallut alors assister à une séance de sorcellerie.

Assis à l’écart, Théodore et Pacca plaignait ce pauvre infortuné se démenant ainsi, luttant contre l’insaisissable. Quelles billevesées ! car après tout, il était réellement intelligent cet homme, très dévoué, et le véritable protecteur de tous les membres de la petite caravane.

À quelque chose malheur est bon. Encore une fois le proverbe a dit vrai. Les incantations de « l’anguécouk » n’avaient pas arrêté la marche des glaces. La banquise qui s’était détachée était déjà à une centaine de pieds du rebord où se trouvaient nos gens, laissant l’eau libre. Aubaine inespérée pour les loups-marins, qui n’ayant plus à rechercher leurs trous d’air s’en vinrent par centaines respirer à la surface de l’élément liquide. La caravane en profita pour se ravitailler. Une dizaine furent tués à la carabine. Tirés sur la glace ils furent dépecés, les quartiers s’amoncelant sur les traîneaux. Le blanc fut mis à part pour le chauffage.

Insouciants du danger couru, Koudnou, et Pioumictou rebâtirent un autre iglou, à quelques pieds seulement des ruines du premier. Théodore en profita pour répérer ses points d’attache, établit à nouveau sa position et régla ses instruments. Le lendemain il reprenait la continuation de son travail, forcément interrompu, ces trois derniers jours.


CHAPITRE XVII

DÉCOUVERTES — ACCIDENT — RETOUR AU NEPTUNE.



Est-ce par divertissement que vous érigez des monuments sur les montagnes ?
Le Coran. Chap. XXVI.


Avril tire à sa fin. Douze jours d’une marche très pénible ont conduit la petite caravane dans la baie Autridge.

Deux jours après leur départ des lieux qui leur avaient été presque fatals, ils rencontrèrent les bordillons, glaces pressées, bousculées et culbutées les unes sur les autres, à travers lesquelles ils durent se frayer un passage. Souventes fois ils eurent à lutter contre des sautes subites de la température. Leurs provisions de viandes et de gras de phoques s’épuisèrent. De nouveau ils eurent à souffrir du froid et de la faim. Vu le peu de profondeur du passage entre la terre ferme et l’île Hall, les eaux étaient inhabitées. À ces malaises s’en ajouta un autre : le mal de neige.

Malaise physique produisant des souffrances atroces. Les paupières tuméfiées, les yeux injectés, les pupilles dilatées, deux d’entre eux, Théodore et Pioumictou perdirent complètement la vue. Cette cécité dura trois jours. Ces maux d’yeux causés par la réfraction des rayons solaires sur les glaces, se répètent tous les printemps. Tous en sont affectés, les hommes plus encore que les femmes : les chasses auxquelles ils se livrent à cette saison les retenant sur la banquise des journées entières.

Pacca fut d’un dévouement sublime pour son mari, le suivant sans cesse, tâchant d’alléger ses maux. Pour combattre l’inflammation, elle faisait fondre la neige dans sa bouche. De cette eau attiédie elle lui baignait délicatement le visage. Sa main se faisait légère comme une caresse. La tête appuyée sur ses genoux il se laissait dorloter comme un enfant.

L’entrée de la baie Autridge fut saluée d’un cri de joie. Enfin l’on était en pays connu, giboyeux. Ce fut un équipage fourbu et hagard qui, ce trente avril au soir, bivouaqua près de la grève et y construisit une misérable hutte de neige. Hommes et chiens étaient hâves, affamés, éreintés, courbaturés.

L’axe de la terre avait dévié, le soleil ne disparaissant à l’horizon qu’une heure à cette date.

Koudnou, sitôt ses gens installés pour la nuit, fier de la responsabilité qui lui incombait, mit sa carabine en bandoulière, passa à sa ceinture son long couteau de chasse et fut à la recherche du gibier. À trois heures du matin, il revenait enchanté de son expédition, son joyeux Shaimo chaimo réveillant tout son monde. Jetant au milieu de l’iglou un quartier de caribou, sa bonne figure réjouie souriait de la surprise commune.

Traversant la baie, dans un vallon solitaire, il avait surpris un troupeau de six de ces ruminants. Usant de stratégie il les avait