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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

sordre régnait à l’intérieur de la cahute. L’on se revêtait hâtivement secouant la literie enneigée et la pliant. Pour se remettre, l’on but une tasse de café chaud, la première depuis ce repos forcé. Les membres ankylosés se refusaient à certains mouvements que l’on domptait par une gymnastique accélérée. Les hommes sortirent de leur habitation par l’ouverture du plafond en tirant après eux les femmes à tour de bras. Le spectacle qu’ils contemplèrent alors n’était guère encourageant : l’iglou ne formait plus qu’un monticule blanc. Les effets, les attelages, les cométiques que l’on avait laissé au dehors étaient recouverts d’une neige dure et compacte de six pieds d’épaisseur. Handicapé par le manque d’outils convenables, l’on taillait cette neige avec de grands couteaux, les femmes jetant au loin les blocs ainsi descellés. Ce travail fatigant dura jusqu’au midi. La faim les tenaillait. Stoïques ils n’en soufflaient mot.

À un moment donné Koudnou s’écria : « kigmeng poilomit nanook tigligpouk » un ours avait volé un des chiens.

Attiré par la proéminence formée par l’iglou, l’ours s’en était approché sournoisement. Son odorat aidant, il avait gratté la neige recouvrant le pauvre animal, l’avait saisi et était allé s’en repaître. Le vol avait été si adroitement combiné qu’aucun autre chien n’en eut connaissance, la victime n’ayant pas même eu le temps de jeter un cri de détresse, ce qui eut éveillé les habitants de la cabane.

« Horresco referens » que leur fut-il arrivé, si au lieu de découvrir le chien, il se fut fait une ouverture dans le mur de l’iglou et fut tombé sur les dormeurs ?

Il fallait au plutôt s’approvisionner. Les chiens furent harnachés et les attelages conduits au large sur les glaces du golfe. L’expédition fut couronnée de succès, deux phoques furent pris. L’un fut distribué aux chiens et l’autre encore chaud de la chaleur animale procura aux humains un repas des plus substantiels. Hommes et femmes s’accroupirent sur la glace autour de l’animal éventré comme à une table chargée des mets les plus rares. D’un coup de couteau adroit l’on coupait un morceau de cette chair sanglante encore toute chaude, l’on y ajoutait un peu de gras, le tout s’engouffrant dans les estomacs vides. Quel apéritif que la faim ! Elle ne chipote pas sur la nourriture !

Le soleil était à son déclin, le repas terminé. Inutile de regagner la terre ferme, distante de six à sept milles. Ayant trouvé un banc de neige de l’épaisseur requise, une nouvelle hutte fut construite. Pour se protéger du froid, les interstices entre les blocs de neige furent calfeutrées avec de la neige meuble, l’huile fut extraite du blanc des loups-marins tués et les lampes allumées, donnant lumière, chaleur et bien-être. Les chasseurs, fatigués, repus, s’endormirent. Dans le silence de la nuit boréale, Théodore retrouva sa femme, lui murmurant à l’oreille des paroles de griseries. À ses sens apaisés le sommeil fut réparateur.


On est heureux le cœur s’endort tout doucement
Sans regrets, sans frisson ; et l’âme sans pensée
On songe vaguement aux forces dépensées,
Et l’on flotte en un vague anéantissement.

A. Dreux,


Le songe qu’il lui procura fut son salut et celui de ses compagnons. Sur les petites heures du jour son moi-inconscient habitait maintenant un pays ensoleillé, dont les chaudes effluves le caressaient. Pacca près de lui, radieuse, jouissait d’un spectacle si nouveau pour elle. Le clapotis d’une mer invisible tintait délicieusement à ses oreilles. Même il en sentait les humides baisers.

À ce moment ils se firent froids. Instinctivement il voulut éviter ce contact. Ce faisant il s’éveilla. L’eau s’était introduite dans l’iglou. Un cri de surprise éveilla ses compagnons. Horreur !

Une fissure s’était produite dans les glaces. La tempête des jours précédents avaient refoulé la banquise du centre du golfe vers le nord, laissant un immense lac. La marée venait d’en détacher un champ de plusieurs milles de superficie.

La brisure passait juste au centre de la hutte. À la hâte l’on ramassa effets et ustensiles et l’on se mit en sûreté. En quinze minutes la fissure atteignit dix pieds de largeur la moitié de l’iglou se trouvant sur la glace de grève, l’autre moitié s’éloignant avec la banquise en dérive. Dix minutes de plus sans s’éveiller et tous eussent été précipités dans les eaux glacées de la baie et probablement engloutis à tout jamais.

« Remercions Dieu, dit Pacca à son mari, de nous avoir préservés d’une aussi horrible mort. » Tous deux s’agenouillèrent dévotement sur la glace. De leurs âmes aimantes s’éleva vers le Dieu puisant un remerciement adorateur.

Koudnou, lui, prétendit que quelques personnes de la communauté avaient enfreint les tabous. Que Sedna, assoiffée de vengeances,