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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

source desséchée du désert appelle le nuage aux seins chargés d’une pluie bienfaisante, ainsi son cœur assoiffé d’amour soupirait-il après le seul être auquel il se sentait attiré. Ce martyre ne pouvait durer. Le 29, il s’éloigna du campement. Il voulait être seul pour réfléchir. Retraçant ses pas à la brunante, il rejoignit ses nomades compagnons, qui, de retour de leur journée de chasse, devisaient joyeusement, ensemble.

Le lendemain, l’on devait se séparer pour longtemps. Les chasseurs, gagnant le nord, s’en allaient tuer l’ours blanc. Théodore, ses deux compagnons et leurs femmes s’en iraient au sud, relevant les côtes encore inexplorées de cette section de l’île Baffin. Le devoir lui apparaissait pénible, mais ne pouvait-il pas le concilier avec son amour ?

Apercevant Nassau qui distribuait la nourriture à ses chiens, il s’avança vers lui.

« Nassau, lui dit-il, j’ai à vous parler seul. Venez à mon iglou, ses hôtes sont tous chez Ouming. »

À quatre pattes, ils entrèrent dans la hutte. La lampe d’Euké brûlait répandant un peu de chaleur. Théodore fit signe à Nassau de venir s’asseoir près de lui, sur l’espace surélevé de l’iglou, formant le lit, et recouvert de fourrures.

« Nassau, lui dit-il, demain nous nous séparerons. Vous avez sans doute remarqué le penchant que j’éprouve pour votre enfant. Je sens que ma vie sans elle sera triste. Voulez-vous me la donner pour femme ? Je lui serai fidèle, dévoué, et je l’aimerai bien. Je sens que je vous fais une injustice, car tout le temps de la chasse vous n’aurez personne pour s’occuper de votre iglou, veiller à l’entretien des fourrures et entretenir le feu sous votre toit de neige. Je la sens tellement mienne que la vie sans elle est sans attraits pour moi. »

« Votre demande m’honore, lui répondit Nassau. Avez-vous bien songé à toutes les conséquences qu’entraînera votre acte ? »

« J’ai pesé le pour et le contre. S’il y a des obstacles, je saurai bien les vaincre. »

« Ces obstacles seront peut-être insurmontables. Pacca est d’une race différente de la vôtre. Son genre de vie est tout autre. Malgré l’amour qu’elle vous porte, elle le sacrifiera plutôt que de laisser les siens. Elle serait dépaysée parmi les vôtres. Comme nos pauvres fleurs arctiques qui s’étiolent et périssent lorsqu’elles sont transplantées dans votre pays, ainsi en arriverait-il de mon enfant. »

« Ma décision est prise, lui dit Théodore. J’abandonnerai les miens et je demeurerai en ce pays. Son charme m’a conquis. Quoique je doive mener une vie différente de celle à laquelle j’ai été habituée, je ne regretterai pas mon acte. »

« Mais, demanda Nassau, que feriez-vous en cas où le capitaine du Neptune, refuserait de se rendre à votre désir ? »

« J’ai tout prévu. Si le capitaine refuse de me donner ma décharge, il me faudra bien retourner à Québec ; mais, dès le printemps prochain, j’irai en Écosse et je prendrai passage sur un baleinier en partance pour Ponds Inlet. Mon absence durerait au plus sept mois. »

« Vos intentions sont bonnes, je vous crois honnête. Des cas semblables au vôtre se sont produits. L’avenir de plusieurs jeunes filles de ma tribu a été brisé, car leurs soi-disant maris sont retournés dans leur pays et ne sont jamais revenus.»

« Cela est malheureusement trop vrai, répliqua Théodore, mais vous avez dû constater que ces êtres vils ne cherchaient que la satisfaction des sens. Ont-ils réellement aimé leurs victimes ? Je ne le crois pas. Qu’étaient-ils après tout ? Des gens sans aveu que l’on ramasse sur les quais avant le départ du bateau pour la chasse à la baleine. Vous avez été témoin de mes rapports avec Pacca. Laissez-la se prononcer je me soumettrai à sa décision. »

Nassau sortit de l’iglou ; quelques minutes après, il y ramenait son enfant. Il lui fit alors part de la demande de l’ingénieur, et de ses objections à cette union.

Ses joues se colorèrent délicatement. Baissant timidement les yeux d’une voix où perçait l’émotion, elle dit : « Père j’ai confiance en cet homme. Sa parole est un gage de véracité. Il ne nous trompera pas. Je lui donnerai ma main en toute confiance, car auprès de lui je trouverai le bonheur. »

« Soit, ma fille, si tel est ton désir. Tu as été la joie de mes yeux, puisses-tu être le bonheur de celui que tu choisis librement pour mari. Demain alors tu le suivras. Je recevrai moi-même l’échange mutuel de vos promesses, avant notre séparation. »

La joie fut grande au campement, lorsque la nouvelle se répandit. Nos deux amoureux furent complimentés et fêtés. Les hommes se rassemblèrent et firent cercle autour de Théodore, chantant ses prouesses. Koudnou lui fit des passes sur le front, les bras et les