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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

habiter une île superbe, où la nourriture était abondante et où il avait construit un palais aux lianes d’un rocher. Elle se laissa conter fleurette, si bien que son cœur et ses sens s’émurent, et elle consentit à devenir sa femme, l’accompagnant sur son île. S’y étant rendue, elle constata avec désespoir qu’elle avait été cruellement trompée. La magnifique maison qu’il lui avait décrite était un nid grossier perché sur de hauts rochers, n’offrant aucun abri contre les intempéries. Quant aux repas gargantuesques dont il l’avait entretenue, ils se composaient de poisson pourri. Regrettant son escapade, elle pleurait et gémissait, en butte aux tracasseries des autres goélands qui la harcelaient sans cesse. Un jour, elle parvint à envoyer un mot à son père le priant de venir à son secours. Ce dernier, qui aimait et regrettait sa fille, se rendit à sa prière, et vint, l’enlever un jour que son mari était absent. Lorsque celui-ci découvrit l’enlèvement, il souleva une grande tempête. Les flots en furie menaçaient d’engloutir la frêle embarcation sur laquelle elle et son père s’étaient enfuis. Pour sauver sa vie, il jeta sa fille par-dessus bord. Comme elle se retenait au bordage de l’embarcation, il lui coupa les doigts un à un pour lui faire lâcher prise, ceux-ci se changeant en baleine, morse, phoque et autres animaux aquatiques. Son père lui creva ensuite un œil. Elle s’enfonça dans l’eau, entrant ainsi au ciel sous-marin dont elle devint la reine, vivant dans une maison de pierre, gardée par un chien, que quelques-uns disent être son mari. Son père se noya plus tard et s’en fut la trouver. Son emploi consiste à torturer les âmes des méchants. Les âmes des animaux aquatiques vont la rejoindre trois jours après leur mort, lorsque leur vigile auprès de leurs corps matériels est terminée. Voilà pourquoi nos gens ont tant de respect pour les corps de ces animaux et observent une foule de « tabous » à leur égard. Les Esquimaux ont aussi une déesse des animaux terrestres, appelée Pukamma, mais tous s’entendent à placer le ciel au fond des mers où le gibier est abondant, et où leurs âmes habiteront des palais de pierre dans une joie et des délices éternels. Il y a, d’après eux, trois degrés de ciel, correspondant plus ou moins à l’idée du purgatoire, de l’enfer, et du paradis. »

« Nassau, reprit Théodore après cette narration, en quoi consistent au juste les « tabous » ?

« Ils consistent surtout, lui répondit celui-ci, dans le mode employé pour tuer les animaux, et l’époque la défense de manger telle ou telle viande est en vigueur. Il y a aussi des règles à observer pour le travail des différentes saisons. Quand les « tabous » ont été violés, le coupable doit en faire une confession publique en présence d’un sorcier. Ce dernier s’hypnotise, entre en transe et communique avec son esprit inspirateur, qui fait part de la confession à Sedna, ce qui absout le pêcheur de sa faute. »

« Le crime le plus hideux pour une femme est de cacher une fausse-couche. Enceinte, elle ne doit pas manger certaines viandes. Après l’accouchement, elle est considérée comme impure pour deux mois, et elle ne doit pas visiter les autres membres de la communauté. Il y a aussi des coutumes à observer à la mort des parents. Une description exacte de tous ces règlements conduirait très loin, car ils sont très minutieux dans les plus petits détails. »

« Quel est au juste l’état civil de « l’Anguécouk » dans les tribus esquimaudes ? lui demanda Théodore.

« L’« Anguécouk » reprit Nassau, possède des pouvoirs surnaturels. Il est le médium entre Sedna et ses adorateurs. Il guérit, jette des sorts, et prédit l’avenir. Il opère avec l’aide d’un esprit familier, appelé « tonwak ». Cet esprit est toujours l’âme d’un animal, le plus souvent celle du morse ou de l’ours polaire. Le sorcier est craint, et quelquefois méprisé de la collectivité. Ses incantations produisent un certain malaise moral et physique. Tombant dans un état cataleptique, les yeux désorbités, la figure contrefaite, la voix absolument changée, il prédit l’avenir ou menace la tribu des foudres du ciel. À son réveil, couvert de sueurs, hébété, faible comme un enfant, il doit se coucher quelques heures avant de reprendre ses forces. »

« Y a-t-il une préparation quelconque pour qui veut étudier la sorcellerie ? »

« Certainement. Pour devenir sorcier, il faut être instruit et initié aux mystères secrets par un autre sorcier. La profession est même ouverte aux femmes, mais bien peu d’elles en font partie. Le novice se prépare à la venue de son « tonwak » par des incantations et un jeûne sévère. Toute séance est accompagnée d’un chant monotone, rythmé par le battement d’un tambour. Celle-ci peut durer d’une à trois heures. »

Pour terminer ce chapitre déjà long, il sera fait une courte mention des vêtements