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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

suis ici, et je viens presque tous les jours à votre village, je vois toujours les mêmes couples ensembles ? »

« Malheureusement, répondit-il, cette coutume païenne existe encore. Elle n’a lieu qu’une fois l’an, au printemps, après certaines fêtes religieuses présidées par le sorcier. Il y a deux points à considérer dans cette coutume, satisfaire aux manquements de certains tabous dans le courant de l’année, et s’assurer de la survivance de la race. »

« Comment cela ? »

« Nos enfants s’unissent jeunes. La population de chaque village est très restreinte, de cinquante à deux cents âmes. Nous sommes tous consanguins rapprochés et il s’ensuit que les familles sont très peu nombreuses, quatre enfants étant l’exception. Les femmes stériles sont communes et pour remédier au mal, l’on se sert d’un plus grand mal. Cet échange est encore plus apprécié si les visiteurs sont des étrangers non apparentés à leurs hôtes. Il dure trois semaines. Les femmes sont bien traitées par leurs maris et l’entraide est mutuel. Tous aiment beaucoup leurs enfants. Les châtiments corporels sont inconnus parmi nous, et un enfant adopté ou acheté est traité comme les enfants issus du mariage. »

« Nos vieillards sont respectés et bien soignés. S’ils n’ont pas d’enfants, la communauté s’en occupe. En cas de famine, ils se laisseront volontairement mourir de faim pour sauver les enfants et les adultes vigoureux. Quand la mort a accompli son œuvre, le corps est tiré sur terre à un endroit convenable et recouvert de cailloux pour le protéger des animaux carnassiers. On place près de son cadavre les outils essentiels à sa subsistance. Le corps est sorti de l’iglou par un trou pratiqué dans le mur et non par la porte. L’iglou est alors abandonné et un autre est construit par les survivants. Les païens croient à la survivance de l’âme, mais d’une manière vague. Après la mort d’un des leurs, la chasse et la pêche sont interdites quelques jours, les femmes ne sortent pas et font entendre des gémissements plaintifs et aigus. On ne secoue pas les lits et on ne doit pas couper de neige à faire fondre. Les hommes ne travaillent ni fer, ni bois, ni ivoire, ni pierre. Les effets ayant appartenu au mort ne sont pas portés par les survivants et ils sont abandonnés. Les femmes ne doivent ni sécher leurs souliers, ni se peigner, ni se laver. »

« Ce dernier précepte doit être assez facile à observer, car sous ce rapport vos congénères ne font pas d’abus, » reprit Théodore.

Nassau fut froissé de cette remarque. « Ne croyez pas que ce soit par plaisir ou insouciance que nous soyons malpropres, dit-il. N’oubliez pas que pendant huit mois tout est gelé. L’eau de la mer n’est pas propice aux ablutions. L’exiguïté de nos ustensiles de pierre ne contient que la quantité d’eau requise pour nous désaltérer et encore ne faut-il pas oublier d’y mettre sans cesse de la neige. Vu le peu de chaleur produite par nos lampes, celle-ci fond très lentement. Mais, à propos, l’automne dernier, vous avez été deux mois absent du bateau, combien de fois vous êtes-vous lavé ? »

« Pas une seule fois, dut-il répondre, car tel était bien le cas. Il avait oublié cet incident. Il ne s’était pas lavé, parce qu’il y avait impossibilité de ce faire. J’ai essayé quelquefois de me débarbouiller avec de la neige, mais elle était tellement rude que j’ai dû y renoncer. Il me semblait que je faisais usage d’une râpe. »

« De plus, répliqua Nassau, la longueur de temps que prend la décomposition de toute matière animale, fait de la propreté personnelle une question de sentiment. Dieu y a pourvu par la salubrité du climat.

Ce que vous m’avez raconté de votre réception à Agou, vous prouve, n’est-ce pas, que les Inuits sont très bons et très hospitaliers. Ils sont aussi très lents à la colère et je ne crois pas me tromper en vous disant que vous autres, les Blancs, paf ! vous perdez tout contrôle et vous vous emportez au moindre incident désagréable. Et, s’ils sont fiers et indépendants, ils ont de la reconnaissance pour les faveurs reçues. Mon peuple est un bon peuple ! »

« Causez moi donc, maintenant, de leurs croyances et superstitions, tenant lieu de religion ? » demanda le jeune ingénieur.

« Il est assez difficile à un non-initié de saisir toutes les nuances de leurs pensées à ce sujet, car l’idée de la vie future est assez vague pour les païens, n’ayant que des traditions orales pour se guider. Tous croient à une déesse suprême qu’ils appellent Sedna. Les Esquimaux, loin au sud, lui donnent un autre nom, Nuliacoque, je crois, mais toutes deux ont la même origine. Les vieilles gens nous racontent que Sedna était une jeune fille timide qui ne voulut épouser aucun des jeunes gens qui la demandèrent en mariage. Elle était courtisée par un goéland ayant pris la forme humaine. Il lui disait