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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

détache alors du harpon et la corde à laquelle elle est attachée est enroulée sur la main gauche. Si l’animal n’est pas tué, il replonge, l’Esquimau, déroulant sa corde. L’animal touché se débat violemment et est bientôt forcé de respirer. Pour cela, il lui faut, revenir à la surface, où il reçoit le coup final. Il est alors tiré sur la glace, et les cérémonies pour apaiser son esprit et se concilier les faveurs de la déesse habitant les profondeurs des mers ont lieu. Elles consistent à crever les yeux de l’animal, afin que l’esprit du loup-marin ne voie pas qu’on le conduit à l’iglou. Ce faisant, certaines incantations rythmées sont marmottées par l’heureux chasseur. »

« En été, reprit Théodore, vous n’avez pas l’avantage d’épier le loup-marin à son trou, comment vous y prenez-vous pour le chasser ? »

« Il faut alors, répondit l’Esquimau, déployer beaucoup de patience et procéder d’une manière tout autre, et même le singer. Dès que les glaces se brisent, le phoque aime à s’y hisser et à y faire de longues siestes au soleil. Lorsqu’il nous arrive d’en voir un ainsi étendu sur la glace, nous l’approchons en rampant et zigzaguant. On prend bien soin alors de ne pas éveiller les soupçons de l’animal, de sorte que l’on n’avance qu’au moment où il se tient la tête basse, car il dort par petits sommes, relevant la tête toutes les cinq à six minutes, et inspectant les alentours. Dès qu’il relève la tête, le chasseur se cache la figure, et, de ses bras et de ses jambes, imite le phoque se prélassant sur les glaces. Il dissipe ainsi ses soupçons. Le manège se continue et la distance entre chasseur et chassé diminue. En avançant ainsi, il arrive à cinquante verges de sa proie, d’où il tire dessus. Le coup doit être foudroyant, car autrement l’animal plonge et ne reparaît pas. Si l’Esquimau n’a pas de fusil, il continue à s’en approcher jusqu’à ce qu’il soit assez près pour lui lancer son javelot. C’est le moment critique de la chasse, car le phoque, surpris hors de l’eau, est d’une agilité merveilleuse pour s’y jeter dès la moindre alarme. »

« Tout cela est bien intéressant, et démonte chez vos gens un esprit d’observation tout à fait remarquable, reprit l’ingénieur. Mais, une autre question ? »

« Comment, sans piège à ressort, pouvez-vous prendre une telle quantité de renards blancs et bleus ? »

« Demain, lui répondit l’Esquimau je vous amènerai avec moi, en arrière des montagnes où, dans une étroite vallée, j’ai mon territoire de chasse. Vous y verrez quantité de longues boîtes, faites de pierres plates, au fond desquelles j’ai attaché de la viande crue à une corde la reliant à une porte. Si l’appât est dérangé, la porte tombe et le renard est prisonnier. Mais j’ai d’autres pièges, avec lesquels je peux prendre plus qu’un animal à la fois. J’ai construit à l’automne, avec des pierres plates, plusieurs cabanes rondes de la forme d’un iglou, mais n’ayant que quatre pieds de hauteur par autant de diamètre à leurs bases. Elles vont se rétrécissant, n’ayant que dix-huit pouces d’évasement. Sur cette ouverture, j’ai placé un morceau de glace de trois pouces d’épaisseur, au centre duquel j’ai fait une petite ouverture circulaire. Sur le plancher de la cabane ainsi construite, je jette quelques morceaux de viande Le renard a l’odorat très fin. Il s’amène, et sans songer un instant qu’il ne pourra remonter les murs obliques de sa prison, il y descend et s’y trouve captif. Afin qu’il ne puisse en démolir les murs en pierres sèches j’ai eu la précaution de calfeutrer toutes les interstices avec un mortier de mousse et de neige mouillées que le froid a rendues dures comme marbre, cimentant le tout ensemble. Dans les trappes, ainsi construites, j’ai déjà eu trois prisonniers d’un seul coup. Une autre caractéristique assez curieuse, mais fort intéressante, du renard consiste à suivre l’ours polaire sur les glaces en hiver pour manger les intestins du loup-marin que l’ours dédaigne. Sa nourriture habituelle étant composée de lemmings, de ptarmigans, et de lièvres, faisant défaut à cette saison, il ne dédaigne pas les restes de son puissant pourvoyeur. Vous constaterez ce fait vous-même par les empreintes laissées sur la banquise là où ces animaux chassent. »

« De tous les animaux de ce pays, les loups sont les plus difficiles à tuer. Quoiqu’ils soient très nombreux, il arrive très rarement que nous puissions en prendre. Ils voyagent par petites bandes de trois ou quatre unités. Ils sont très ombrageux, très sournois, très soupçonneux, et ne se laissent pas approcher. Ils dévorent lièvres, rennes et bœufs musqués. Ils s’attaquent même à l’ours, ce qui explique pourquoi celui-ci se sauve dès que nos chiens le poursuivent. Les loups sont aussi cause que nous perdons quelquefois les meilleurs de nos chiens, l’atavisme les faisant rechercher leur compagnie, attirés qu’ils sont par leurs hurlements auxquels ils répondent. Que leur arrive-t-il, nul ne le sait, car jamais nos chiens retournés à l’état sauvage ne nous