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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

fant la pierre, elle prend plus d’ampleur. Lorsqu’elle augmente, la mèche demande beaucoup de manipulation pour que la flamme brûle également et ne cause pas de fumée. Afin que le niveau de l’huile ne baisse pas dans le réservoir de la lampe, l’on découpe en lamelles le blanc de phoque, et on le suspend au-dessus du réceptacle à deux pieds de la flamme. La chaleur l’amollit et il dégoutte alors goutte à goutte dans le réservoir, maintenant le liquide au niveau de la mèche. »

« L’on suspend aussi au-dessus de la lampe une chaudière oblongue de pierre ponce pour fondre la neige ou la glace qui fournissent l’eau dont on a besoin pour se désaltérer. La petite quantité d’eau ainsi obtenue ne permet pas de l’employer aux ablutions. En hiver, très peu d’aliments sont cuits, et les viandes, aussi bien que le poisson, sont mangés crus. »

« Les femmes étant ainsi occupées à l’arrangement intérieur de leur nouvelle demeure, les hommes voient à nourrir les chiens et à construire un rempart semi-circulaire de blocs de neige, adossé à l’iglou, dans lequel les harnais et les peaux non tannés sont mis en sûreté, hors de l’atteinte des chiens, qui dévorent tout ce qui leur tombe sous la dent. »

« Les aliments sont, dans une certaine mesure, propriété commune. En temps de disette, si un Esquimau tue un animal, il le divise entre tous les membres de la tribu. »

« C’est du communisme pratique que ce genre de vie, » remarqua Théodore.

« Je ne sais, répondit Pacca, ce que cela veut dire, mais nous sommes très charitables les uns envers les autres, et nous nous aidons mutuellement. Les missionnaires n’ont guère eu à nous enseigner cette vertu. De fait, elle est une cause de notre survie dans un pays si dépourvu de tout. »

Tous les soirs, ces conversations reprenaient et l’on causait longuement. Une après-midi, Théodore dit à Pacca : « J’ai fait votre père s’étendre longuement sur les constructions esquimaudes, car lorsque je retournerai dans mon pays l’on me posera bien des questions à ce sujet. »

« Ne vous questionnera-t-on pas aussi sur les hommes et les femmes de ce pays ? » lui demanda-t-elle avec un sourire narquois. « Vous vous gausserez alors de notre naïveté et de nos manières primitives. »

« Oh ! cela jamais Pacca, ne serait-ce que par affection pour vous. D’ailleurs, je me suis rendu compte qu’une femme est tout autant bonne mère en ce pays qu’au mien. Je suis étonné de l’affection et de l’amour qu’ont les enfants pour leurs parents, et des soins que ceux-ci leur prodiguent. Je leur raconterai tout cela, ainsi que les croyances de ceux des vôtres qui sont encore païens. Avant de questionner votre père sur ce sujet ce soir, je continuerai la conversation sur un thème plus pratique. »

En effet, lorsque après son souper il se fut rendu à l’iglou de Nassau, qu’il fut installé sur les chaudes fourrures pour sa causerie habituelle, il lui dit :

« Dans ce pays où le bois est totalement inconnu, comment vos pères construisaient-ils leurs traîneaux et la charpente de leurs kayaks ? »

Il ne faut pas oublier que le cométique a de douze à vingt pieds de longueur.

« Dans ce temps-là, qui n’est pas éloigné, nous nous servions d’os de baleine attachés ensembles bout à bout jusqu’à ce que la longueur voulue fût atteinte. Nous obtenons maintenant des bateaux qui viennent en nos parages de grandes pièces de bois. Vous avez remarqué que le patin est ordinairement formé d’une seule pièce, mais si le bois est rare, ce qui arrive souvent, il est souvent formé de plusieurs morceaux ajustés et reliés ensemble avec de la babiche. Les barres transversales qui sont liées aux patins les dépassent un peu à l’extérieur car elles servent de prise à la corde qui amarre le chargement du cométique. Les patins sont lissés avec des plaques d’ivoire maintenues au moyen de chevilles de bois. Des traiteurs nous ont déjà fourni des lisses en acier, mais elles glissent mal sur la neige durcie. Vous serez tout surpris, dès que vous partirez en voyage cet hiver, de voir comment l’on élimine ce crissement sur la neige, facilitant de beaucoup le halage par les chiens. »

« Vous feriez mieux de me dire de suite comment se fait ce semelage du patin, afin que je n’ai pas trop l’air nigaud ? »

« Si vous y tenez, soit. Ce semelage se fait avec des mousses tourbeuses délayées à l’eau et formant une pâte épaisse. Comme il ne s’emploie que par les grands froids, dès qu’on l’applique sur l’ivoire du patin, il gèle très vite en s’y soudant et en s’attachant aussi au rebord. On met deux à trois couches de cette préparation jusqu’à ce que l’on ait une épaisseur d’un pouce que l’on rabote et façonne à la main afin d’avoir une surface lisse. Comme finale, le tout est recouvert d’une mince couche de glace. Pour l’obtenir, un des hommes s’emplit la bouche d’eau et à maintes reprises la vaporise sur le semelage. Ce glaçage