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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

retour, instruit par l’expérience, il mit sa tente de côté. Chaque soir ses Esquimaux construisaient une hutte de neige. Quoique froide, elle était plus confortable, mais il fut impossible de se servir de lampes esquimaudes, celles-ci étant « tabous » aux hommes. Il n’y a que les femmes qui doivent y veiller et les entretenir. À l’entrée de la baie Moffet, il fut surpris par une épouvantable tempête de neige poussée par un fort vent. Après une très pénible marche forcée de douze heures, il s’aperçut qu’il était revenu à son point de départ. L’on ne voyait ni ciel, ni terre, mais l’instinct des chiens découvrit la hutte abandonnée ce même matin. Les jours étaient maintenant très courts, le soleil ne se montrant plus que deux heures par jour. L’atmosphère étant toujours chargée de vapeurs, il n’était visible qu’une ou deux fois par semaine. Comme le compas magnétique est absolument inutile dans ces endroits, avec une variation de 88 à 115 degrés, il était aussi impossible de prendre des observations solaires pour faire un travail exact. La neige qui était tombée rendait aussi la marche plus pénible. Près des pointes, les glaces brisées, tourmentées et broyées avaient été jetées pêle-mêle sous la poussée des marées. Maintes fois, chiens, traîneaux et hommes disparaissaient complètement, engloutis dans les crevasses de 10 à 15 pieds de profondeur. Les hommes criaient, les chiens hurlaient, se mordaient et emmêlaient leurs attelages de nœuds compliqués ou les brisaient sur les glaces coupantes des bordillons.

Au moyen d’une hachette, il fallait creuser des marches dans la surface lisse des glaces. Chaque infructueux essai de sortir du précipice était salué de rires gouailleurs. Toujours la bonne humeur l’emportait, et l’on se remettait vite de ces avaries. Aussi, fut-ce avec une joie sans mélanges et le cœur content, que ce 17 novembre au soir, le petit groupe d’aventuriers saluait le bateau, leur unique home en ces terres désolées.

Pyré, en revoyant son maître, était fou de joie. Il ne lui en voulait plus d’avoir trompé sa vigilance en l’abandonnant ainsi. Étant trop aristocrate pour servir de chien de trait, il ne pouvait être d’aucune utilité à nos voyageurs. L’on avait bien essayé, mais sans succès, de l’habituer à cet esclavage.


CHAPITRE XI

HIVER ARCTIQUE


Et c’est du blanc partout où se portent les yeux ;
Le ciel même a coiffé sa plus blanche calotte.
Un reste de brouillard dans l’air encore flotte.
C’est le règne du givre éphémère et joyeux

Alonzo Cinq-Mars.


Le 9 novembre, le soleil disparaissait aux regards pour ne réapparaître que le quatre février suivant. Cette disparition de l’astre du jour a sur le physique et le moral des gens une influence morbide. Ils deviennent misanthropes, susceptibles et colériques.

Les membres de l’équipage furent occupés, l’hiver durant, à scier de la glace sur un lac dans les montagnes adjacentes, et à la charroyer au bateau où elle était mise dans les réservoirs pour s’y transformer en eau potable. Ce travail eut l’effet d’un tonique sur les hommes, les fonçant à secouer leur torpeur, à respirer au grand air et à prendre un exercice hygiénique. Au reste, le peu de lumière pendant cette nuit polaire de trois mois ne permettait de travailler que de trois à quatre heures par jour.

Dès les premiers jours de janvier, le crépuscule du midi, ne se faisait presque plus sentir, de sorte que la lune et les étoiles brillaient 24 heures par jour.

Enfermés dans des murailles de glace, isolés du monde et éloignés de leurs parents et amis, à ces quarante-trois hommes, exilés volontaires, Noël advint comme une bénédiction. Son arrivée fut saluée avec autant de joie, sinon avec autant d’éclat, que sous les climats les plus favorisés. La fête fut célébrée avec tout le recueillement et toute la dignité que permettaient les conditions de leur isolement.

Son charme mystique enveloppa le bateau, couché dans son berceau glacé, et tous en goûtèrent le charme immanent au même degré que les richards au fond de leurs palais de marbre.

Ce n’est pas la pompe ni la splendeur des villes et le gai carillonnement des cloches ; ce ne sont pas les poignées de mains amicales ou l’échange de souhaits nobles et désintéressés qui font de Noël une saison d’amour, de joie et de bonne entente. Toutes ces choses ne sont que l’expression du bonheur que tous sentent au fond de leurs cœurs