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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

treprendre le lendemain matin, mais toujours lui apparaissait, souriante et encourageante, la douce figure de Pacca.


CHAPITRE X

PAR MONTS ET PAR VAUX


My heart leaps up when I behold
A rainbow in the sky.
So was it when my life began ;
So is it now I am a man ;
So be it when I shall grow old
Or let me die
 !

Woodsworth.


Un pâle soleil d’hiver poudroie de ses rayons la surface cristalline de la baie. Les monts s’estampent hardiment, déchiquetant sauvageusement le pâle horizon boréal. Des rumeurs, des bruits confus viennent du dehors, frappant l’oreille de Théodore, qui dans sa cabine, sangle son ceinturon. Il monte sur le pont dans son accoutrement mi-européen, mi-esquimau. Sans ostentation, sans hâte, il enjambe le bordage et descend l’échelle. Il savoure d’avance les émotions d’une randonnée en pays inconnus. La gloire de découvrir des terres nouvelles, cette sensation de suivre des côtes inexplorées lui montent à la tête comme un vin capiteux. Ses émotions, personne ne les perçoit. Les trois cométiques, tirés par huit chiens chacun, sont prêts. Les adieux sont vite faits par ces hommes habitués aux duretés de l’existence. La voix du bon vieux capitaine se fait réellement tendre lorsqu’il tend la main à l’ingénieur « Bon succès et que Dieu vous garde ! » « De tout mon cœur, merci mon capitaine », lui répond-il.

« Messieurs, bonjour, au revoir ! » et d’un geste de grand seigneur il salue tout l’équipage assemblé sur la glace, vaste amphithéâtre digne des cieux.

Les Esquimaux font entendre deux ou trois claquements de langue sonores, les longs fouets sifflent et touchent les chiens. Ceux-ci, en un clin d’œil, sont debout, et partent au grand galop, s’étalant en éventail. Le parti comprend, outre l’ingénieur, un aide et le premier second du bateau qui ne doit faire qu’une partie du trajet. Comme guides et conducteurs des chiens, ils emmènent avec eux trois Esquimaux.

Ainsi le 10 octobre 1910, ces hommes partaient à la conquête d’un idéal, à une bien mauvaise saison pour les explorations arctiques. Les jours sont courts, l’atmosphère est presque continuellement chargée de vapeurs froides et le soleil ne se montre que très rarement. Comme toutes les courses et distances parcourues doivent être repérées sur l’astre jour au moyen du sextant et du compas solaire, l’on comprendra la difficulté de faire un travail satisfaisant. Le malaise intolérable et sans remède à cette saison de l’année, c’est de voyager avec des vêtements et une literie continuellement humides, n’ayant pas de feu soit pour se sécher, soit pour se réchauffer.

Une semaine après leur départ tous les lainages étaient saturés d’humidité. À l’intérieur de la tente s’était formée une couche de verglas, qui au moindre mouvement se détachait et tombait sur ses habitants. De vingt-cinq livres à son départ, le poids en était maintenant de soixante livres.

Théodore n’avait pas un instant pour songer à tous ces inconvénients. Il lui était bien arrivé dans ses pérégrinations au sein des forêts septentrionales du Québec et de l’Ontario de coucher à la belle étoile, en plein hiver, mais quelle différence ! Dans ces pays boisés l’on abattait quelques arbres bien secs et un bûcher était vite bâti. Des branches de sapin étaient étendues sur la neige où l’on se couchait. Une chaleur bienfaisante se répandait dans tous les membres, séchait les vêtements, et les flammes réjouissaient la vue de leur éblouissement. Ici, quel triste contraste ! Les nuits étaient froides et l’on se couchait grelottant dans des couvertures trempées. Une ration de gazoline lui avait été allouée pour une lampe portative sur laquelle matin et soir il préparait le café pour les membres de l’expédition. Le reste du repas se composait de pemmican et de biscuits-matelots. De plus, l’expédition devait pourvoir à son ravitaillement en viande fraîche, soit pour elle, soit pour nourrir les chiens. Vu la grande quantité de loups-marins habitant les eaux polaires, elle en tua de deux à trois presque tous les jours. Il fallut bien s’habituer à la cuisine esquimaude, c’est-à-dire manger crue la viande ainsi obtenue, car il n’y avait aucune possibilité de la faire cuire.

Ce voyage, outre les souffrances causées par la température, fut peu mouvementé. Dès le premier jour Théodore décida que l’on ne prendrait que deux repas par jour, afin de ne pas trop retarder la marche.

Au cours de cette expédition il fut témoin