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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

dition, au cours du long hiver qui s’annonce. Une grande battue est donc organisée.

Les chasseurs se divisent en trois groupes de quatre membres. Le steward donne à chacun la nourriture requise pour la journée. Le préposé aux magasins à son tour leur remet cartouches, poudre et plomb.

Les préparatifs étant terminés, deux chaloupes de sauvetage conduisent les Nemrods à terre, distante d’un mille, d’où chaque parti prend une direction différente.

La caravane dont fait partie Théodore gagne l’intérieur en se dirigeant vers le Nord-Ouest. La marche se fait allègrement sur un terrain vallonneux, recouvert d’un épais tapis de verdure. Le soleil verse à flots lumières et rayons, mais si peu chauds, que l’on n’en souffre pas.

Après une heure de marche, à quatre milles dans l’intérieur, ses hommes débouchent d’un petit ravin, dont un repli du terrain fermait l’horizon.

« Regardez, fait le matelot Ulric Tremblay, ça remue à notre droite. »

Tous s’arrêtent, retenant leur haleine, dilatant leurs pupilles, le sang courant plus rapide dans les artères. L’instinct du chasseur s’éveille, l’animal humain se prépare à tuer, à massacrer. Fort de sa civilisation, il aura facilement l’avantage car il ne combattra pas avec ses mains, ses pieds ou ses dents, comme ses frères sans raison. Il portera la mort au loin, sans danger, mort foudroyante, affolante pour ces pauvres êtres.

L’ingénieur, de sa lunette, scruta la plaine, et y vit en effet un troupeau de bœufs polaires, aussi dénommés bœufs musqués ou buffalos du Nord. Le troupeau se composait d’une quarantaine de têtes comprenant des mâles, des femelles, et une vingtaine de veaux du printemps. Ils broutaient paisiblement, disséminés sur une étendue d’une quinzaine d’acres. Les jeunes jouaient et folâtraient à l’entour des mères. De temps en temps, un animal levait la tête et inspectait les alentours, une attaque des loups étant toujours à craindre. Si rien d’insolite ne se voyait, il faisait entendre un mugissement particulier et le repas se continuait, les femelles ayant la précaution de rappeler les petits qui s’étaient trop éloignés d’elles.

L’animal que l’on désigne sous ce nom est un gros bœuf à garrot relevé en bosse, recouvert d’une épaisse fourrure laineuse, formant une crinière dont les extrémités traînent par terre. Il a la tête courte, large, et massive, à front très bombé, à cornes, descendant de chaque côté de la tête et retournées en arc. Un adulte peut peser de quatre à cinq cents livres. Ils habitent la partie septentrionale du Canada, appelée les " barren-lands " et les îles de l’Archipel Arctique, se nourrissant des mousses et des lichens qui y croissent. De son large sabot, en hiver, il enlève la neige durcie les recouvrant.

C’était un troupeau de ces animaux que nos chasseurs venaient de surprendre. Se séparant, ils s’avancèrent avec mille précautions vers eux et ils n’en étaient plus qu’à trois cents verges lorsqu’ils furent découverts. Théodore et ses hommes furent témoins d’une véritable tactique de guerre de la part de ces animaux. Un gros taureau, probablement le capitaine de la bande, fit entendre un beuglement féroce. En un clin d’œil, il se fit un rassemblent de toutes les bêtes. Les jeunes furent placés au centre, les femelles les entourèrent en carré, et les taureaux se placèrent bien en évidence aux quatre faces du carré. Tous mugissaient et beuglaient. Celui qui s’était constitué le chef, encore plus que les autres, frappant et piochant la terre de ses pieds d’avant, tête basse, prêt à bondir. Les chasseurs n’étant plus qu’à trois cents pieds s’arrêtèrent. Le capitaine-taureau se détacha alors du groupe et dans un galop furieux fonça sur les intrus. Ayant franchi une distance de cent pieds, il s’arrêta net, regarda à droite et à gauche, et, à reculons, regagna son point de départ. Une deuxième fois, il répéta le même manège, mais cette fois il ne s’arrêta qu’à une centaine de pieds des chasseurs. Une troisième attaque de sa part eût probablement fini en désastre, car il ne semblait pas vouloir s’arrêter et il galopait furieusement vers le petit peloton d’hommes, d’où une balle l’étendit à peine à cinquante pieds d’eux. Le chef étant mort, un autre le remplaça immédiatement et eut le même sort. Les chasseurs tuèrent ainsi onze mâles et cinq femelles, celles-ci remplaçant les taureaux lorsque tous furent tués. Nos chasseurs eurent toutes les peines du monde à disperser ou à faire éloigner le reste du troupeau après cette boucherie. Les jeunes montraient des ardeurs belliqueuses, reniflaient ceux des leurs qui étaient morts et faisaient entendre le beuglement plaintif des animaux que l’on conduit à l’abattoir.

Alors commença pour nos hommes une besogne des plus ardues : écorcher et dépecer toutes ces carcasses. Un envoyé fut dé-