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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

vous réconforter. Tirant de sa poche un flacon, le bon capitaine, qui lui, pourtant, ne prenait pas une goutte, versa à son jeune ami une bonne rasade de vieux rhum, tonique des marins.

Celui-ci l’avala d’un trait, grimaça un peu mais fut très reconnaissant de cette délicate attention du commandant. « Merci », dit-il.

Ravigoté, il s’habilla à la hâte. Pendant ce temps les matelots qui avaient accompagné le capitaine mirent son canot à l’eau, y placèrent tout son bagage et l’attachèrent à leur chaloupe.

Pendant le trajet de la terre ferme au bateau, le capitaine se fit raconter les détails de l’ascension des monts Croker. Théodore lui en ayant fait le récit, le capitaine reprit : « Vous autres, vous êtes tous pareils. Vous croyez tout savoir, tout pouvoir faire, et vous me causez bien des alarmes. »

La conversation dériva alors sur la possibilité de faire le fameux passage du Nord Ouest, entreprise qui a coûté la vie à bien des marins anglais et qui n’a jamais réussi.

« Croyez-vous mener à bien cette entreprise, Capitaine ? »

« J’en doute, lui répondit-il. J’ai pu approcher l’extrémité est de l’île Melville, mais le détroit McLure est rempli de banquises et de champs de glaces à perte de vue, d’une épaisseur de cinq à vingt pieds. Ce sont les glaces de la mer de Beaufort se frayant un passage vers le sud. »

« Ne pensez-vous pas qu’elles aient le temps de dériver avant les froids de l’hiver et vous permettre la navigation du détroit ? »

« Peut-être. L’avenir dira si les dieux me sont propices. Nous retournons à Ponds Inlet où nous mouillerons quelques jours dans le havre Albert. De là vous pourrez relever les baies non explorées des côtes de Baffin. Quant à moi je m’occuperai de la perception des droits de pêche des baleiniers écossais et américains. Dans un mois nous reviendrons à Melville. Si le sort nous favorise nous hivernerons aux îles Herschell, à l’embouchure du Mackenzie. »

La chaloupe accostait le bateau. Les officiers, le médecin du bord, souhaitaient la bienvenue à l’explorateur. Pyré renouait connaissance à la mode chien, avec Sport, le petit fox-terrier du bord, n’oubliant pas un magistral coup de queue aux cuisiniers, reconnaissance du ventre…

Le retour à Ponds Inlet se fit en longeant la côte nord de l’île Bylot et en la contournant à l’est, au lieu de revenir par les détroits Navy Board et Éclipse. Les membres de l’équipage purent alors contempler l’immense calotte de glace qui recouvre cette partie de l’île et ses nombreux glaciers dont quelques-uns déchargent des icebergs. Pendant ce trajet, l’idée d’une apparition poétique passait devant les yeux de notre explorateur.

Incidemment, pour amorcer la conversation il demanda un jour au capitaine :

« Vous avez déjà mouillé à Blackhead, dans le détroit de Cumberland, n’est-ce pas ? »

« Oui, répondit celui-ci, la formation géologique des côtes vous intéresserait. Nous y avons trouvé du graphite et du mica. »

« Connaissez-vous les naturels ? »

« Mais oui. »

« Y auriez-vous rencontré par hasard un Esquimau du nom de Paul Racine ? »

« Certainement j’ai même connu son père. »

Cachant sa joie intérieure, Théodore reprit :

« Est-ce que par hasard, vous n’auriez point vu chez cet Esquimau un enfant, une jeune fille… que… qui… le vieux Jim Macketoui à Ponds Inlet, me disait être une perle ? »

Le capitaine regarda son interlocuteur avec un certain intérêt et même avec une curiosité à peine dissimulée ; mais celui-ci, sous un masque impassible ne laissa rien paraître de son émotion.

« Je sais que Paul élevait une orpheline, sa nièce je crois. Elle était réellement jolie et intelligente. De plus, elle parlait assez bien le français. À la mission, c’était l’élève la plus éveillée et la plus intelligente, m’a-t-on dit. Lors de mon dernier passage à Blacklead j’ai appris qu’elle et son père en étaient repartis. Je ne me suis pas informé où, mais je serais porté à croire qu’ils demeurent à Ygloulik, dans la partie nord du Fox Channel. »

« En quoi cela peut-il bien vous intéresser ?

« Études ethnographiques, mon capitaine. Curiosité d’un civilisé pour un oiseau rare, reprit-il laconiquement. »

Même à ce vieux loup de mer, en qui il avait confiance, qu’il savait indulgent au besoin et très discret, allait-il ouvrir les arcanes de son âme ? Un instant il eut cette tentation, mais habitué à se replier sur lui-même, il se tut.

« Paul Racine, reprit le capitaine, n’est pas le seul civilisé de ces régions. À cap Kater, il y a aussi un Monsieur Georges Du-