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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

minalement ces terres appartenaient au Canada. Au siècle dernier, elles avaient été parcourues et relevées par de braves navigateurs anglais. Sur toutes ces terres, l’explorateur relève nombre d’inscriptions mortuaires de ces pionniers du Nord, car leur route est jalonnée des tombes de leurs braves. Plusieurs de leurs expéditions finirent en désastre. La fin de ces hommes non habitués à la rigueur d’un tel climat a dû être une agonie lente et inexprimable. À eux et à tous ces méconnus de la terre polaire s’adressent ces belles strophes du poète René Chopin.


Les fiers aventuriers, captifs de la banquise,
En leurs tombeaux de glace à jamais exilés,
Avaient rêvé que leur gloire s’immortalise :
Le Pôle comme un sphinx demeure inviolé.

Sur une île neigeuse avouant la défaite,
Et l’amertume au cœur, sans vivres, sans espoir
Ils gravèrent leurs noms, homicide conquête,
Et tristes, résignés, moururent dans le soir.

Les voiles luxueux d’aurores magnétiques,
Déroulant sur le gouffre immense du Chaos,
Leurs franges de couleurs aux éclairs prismatiques,
Ont enchanté la fin tragique des Héros.

Leur sang se coagula, plus de feux dans les tentes…
En un songe livide ont-ils revu là-bas,
Par delà la mer sourde et les glaces flottantes,
Le clocher du village où l’on sonne les glas ?


De 1884 à 1904 le gouvernement canadien envoya plusieurs expéditions dans les mers du nord, mais aucune ne dépassa guère les côtes sud de la terre de Baffin, au nord du détroit d’Hudson. Dans l’intervalle de nombreux baleiniers américains se rendaient dans les eaux du Nord, y détruisaient la baleine, y chassaient et commerçaient avec les Esquimaux, ne reconnaissant aucune autorité. Il fut même rumeur qu’ils projetaient la prise de possession de ces terres en y arborant le pavillon étoilé.

Ces bruits parvinrent aux oreilles du gouvernement canadien, qui décida l’envoi d’un bateau-patrouilleur pour émettre des licences de pêche et faire la perception douanière sur tous les bateaux étrangers faisant le commerce de fourrures. Sur le bateau canadien l’on envoyait aussi un officier scientifique plus spécialement chargé d’explorations techniques, de recherches et d’observations météorologiques, géologiques et magnétiques, etc… etc…

Deux expéditions de ce genre avaient déjà eu lieu. Théodore Maltais les avait suivies de près. En imagination il avait exploré tout ce monde. Son esprit vagabond ne tenait pas. Il lui fallait du mouvement, du changement. Ayant terminé son cours classique et n’ayant par les moyens de passer par l’Université pour y décrocher un doctorat, il s’était mis en apprentissage dans la maison d’un négociant exportateur. Cette vie sédentaire ne lui allait guère. Le hasard voulut qu’il rencontrât alors un ingénieur-civil anglais, gradué d’Oxford, qui avait besoin d’un clerc.

Après deux entrevues avec M. Pierce, il entrait en cléricature. En deux ans ayant maîtrisé la partie théorique de certaines spécialités du génie, il fut envoyé au Chemin de fer Transcontinental pour y acquérir la pratique. Commençant par être jalonneur, il fut vite promu à la position de porte-mire et de niveleur. Deux ans de cette vie ardue en plein air lui avaient été un stimulant. Levé avant le jour, été comme hiver, toujours à la tâche, pluie, neige ou beau temps, dormant sous la tente et quelquefois à la belle étoile, malgré ce travail de forçat, quelle belle vie libre. Il avait parcouru les forêts du sud du Québec depuis la frontière du Nouveau-Brunswick jusqu’à la Beauce. Dans l’intervalle, il était passé à la position d’assistant chef d’équipe. La construction du chemin de fer dans l’est commençait. On lui offrit la charge d’un parti pour la localisation finale du tracé dans l’Abitibi, dont les tracés préliminaires venaient d’être complétés. Après une visite hâtive aux siens, dès le mois de juin 1908, il était à Ottawa, organisant son parti. Il gagna le nord par le T. N. O. Cette voie ferrée ne se rendait alors qu’à Matheson. De là l’on s’embarquait sur des canots descendant la rivière Black, remontant l’Abitibi, traversant le lac du même nom pour, de là, se rendre à son poste. Ce fut ainsi qu’il se rendit à Macamik et à la rivière Harricana, canotant, portageant et faisant les relevés complémentaires et finaux. À travers les muskegs, dans les bois, sur les rivières, toujours l’on pouvait le voir, le premier d’entre ses hommes. En été, dévoré par des millions de moustiques, l’hiver bataillant contre les neiges et les froids. Sans peur, hardi, dans toute la force de son âge et de son inexpérience, il sautait en canot rapides les cascades que ses guides cris, eux-mêmes, crai-