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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

seuls objets rapportés du collège. Il entretint l’auteur de ses oncles et cousins de Laprairie et des alentours. Son grand désir eût été de leur rendre visite. Il avait longtemps hésité sur l’avenir spirituel des siens. Tous les Esquimaux de Blacklead étaient anglicans. N’étant pas très féru en théologie et ne voyant pas venir de missionnaires catholiques, il avait enfin consenti au baptême de sa femme et de ses filles par le Révérend Monsieur Greenshields, stationné parmi les Esquimaux du golfe de Cumberland. Quant à lui, fidèle aux croyances de son enfance, il n’allait pas au temple. « Pouvais-je faire autrement, disait-il. » Il vaut mieux que les miens apprennent à aimer Dieu et son Fils que d’être sans religion.

L’auteur a corroboré ces faits auprès du révérend protestant.

Paul Racine était un beau type d’homme, très grand pour un Esquimau, car il devait mesurer cinq pieds huit pouces. Lors de sa rencontre il portait les cheveux courts, moustache et barbe noires. Son teint était cuivré mais l’oblique de ses yeux était très peu prononcé et ses pommettes peu saillantes. Quant à son genre de vie, il était en tout semblable à celui des autres Esquimaux, description qui se fera dans le cours de ce récit.

« Mon récit vous a-t-il intéressé ou ennuyé ? » chuchota la jeune fille.

« Certes si. Sans indiscrétions, car nous nous reverrons probablement jamais, seriez-vous assez bonne de me dire votre nom ? »

« À mon baptême l’on me nomma Marie, mais l’on m’a toujours appelé de mon nom indigène Pacca. »

« Il est tout à fait gentil et poétique ce nom ». Et, faisant une grande révérence, « à votre service Mademoiselle Pacca. Je vous présente M. Théodore Maltais, ingénieur civil, explorateur, vagabond, sceptique, incrédule, etc… »

« Est-ce un travail bien difficile ? », demanda-t-elle innocemment ?

« Oh ! énormément, surtout la dernière partie de l’énumération de ses aptitudes », répondit-il narquois.

S’avançant sur le rebord de la pierre leur servant de siège, son regard embrassa l’horizon. Du doigt elle indiqua l’Ouest. La vue de son compagnon suivit cette direction. De sa gorge sortit une exclamation, presqu’un cri de surprise et d’admiration. La féerie solaire se continuait, changeait à l’infini. Dans ce court espace de temps, l’aspect des cieux s’était transformé. Les rouges vifs, les violets pourprés et les oranges aux teintes ambrées s’étaient évaporés. Le ciel s’était recouvert d’une gaze transparente d’un mauve aussi délicat que les calices des fleurs de lilas, apparaissant à travers des nuages d’une texture si fine et si transparente que l’on eût dit une immense toile d’araignée tissée de fils de cristal, frangée de rose pâle. Ces nuages avaient la forme et le ténuité d’ailes de libellules se déployant de chaque côté du soleil entre lesquels il apparaissait comme un disque vieil or. Ses rayons teintés d’émeraude traversaient obliquement l’espace comme des pieds de vents et illuminaient le paysage d’une clarté radieuse et opaline. L’on eût dit deux effets de lumière différente voulant s’éclipser l’une l’autre. En effet, là-bas, au sud, à peine visible, l’ombre d’elle-même, déesse pâle, la lune se détachait sur le fond bleu du ciel. Elle faisait peine à voir, blafarde et anémiée, cette lune de nos belles nuits d’été si aimée et si chantée de nos aèdes. Quelle déchéance !

Des cieux, le jeune homme tourna sa vue vers le visage de sa voisine, dont l’ovale plein, la régularité des traits, l’oblique prononcé des yeux et l’intensité du regard semblaient transpercer le ciel pour en voir l’au-delà. Photographiant sur sa rétine cette symétrie parfaite du type oriental à la peau cuivrée, il sentit naître en lui un sentiment très doux. Il se délectait de l’effet des rayons du soleil sur elle, se jouant sur son visage et ombrant d’ambre ses lourdes tresses. Le kayak, renversé sur ses pinces, ressemblait à un bloc de bronze poli se profilant sur le bleu de la mer. L’étrange et fascinant aspect du ciel se reflétait dans ses yeux, les illuminant d’un éclat féerique. Les variations spectroscopiques de la lumière en ce changement continu dessinaient la pureté de son profil, comme si un crayon magique en eût délimité les contours. Elle se jouait parmi les passementeries multicolores de son « couletang » et les franges perlées de sa culotte en renard blanc. Elle lui apparut enfin comme un être éthéré, fée vivante descendue de l’Olympe où les Génies du dieu « Lumière » habitent.

Elle contemplait le ciel. Son expression extatique se traduisait en un ravissement intense… céleste : peinture vivante de ces âmes matérialisées par Raphaël et Fra Angelico. Un soupir profond s’exhala de sa poitrine. Abaissant la vue, ses yeux perdirent cette intensité vive dont ils étaient illuminés. Se tournant vers son compagnon, ils rencontrèrent les siens qui s’enveloppaient d’une trop apparente admiration. Elle éprouva à cette rencontre nouvelle une sensation incon-