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Vous ne souffrirez pas seulement de la revanche prise sur Bismarck et Guillaume Ier, sur Blücher, sur votre grand Frédéric. Vous souffrirez en vous-mêmes, pour vous-mêmes. Il est pénible, au moment où l’on produit un argument, de prévoir la réplique certaine et victorieuse. On peut sans peine mentir, la chose est courante ; mais on doit éprouver quelque gêne quand l’on est assuré que ceux qui vous écoutent et qui vous regardent savent que vous mentez. Vous le savez vous-mêmes.

Mais, si vous éprouvez quelque répugnance, vous la surmonterez. Pour peu qu’on vous laisse faire, vous discuterez et disputerez. Vous êtes habiles en cet art depuis toujours, car l’astuce vous est congénitale. Un historien romain, qui connaissait bien les Germains, vos ancêtres, a dit qu’ils étaient autant retors que féroces in summâ feritate versutissimi. Votre réputation s’est perpétuée à travers les âges. Un roi de France, au quatorzième siècle, répondit à un mémoire de votre chancellerie impériale, par ces deux mots « Nimis Germaniæ » (ça, c’est trop allemand). Et il y a longtemps que chez nous on appelle une mauvaise chicane « querelle d’Allemand ».