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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

Je fis donc travailler à mon bonhomme (il avait quinze ans et jouait convenablement du piano) un peu de solfège, d’harmonie, de contrepoint, ce qui me paraissait nécessaire pour quelqu’un qui n’entend pas pratiquer, mais seulement analyser, puis je l’attelai sérieusement au déchiffrage, à la lecture de partitions anciennes et modernes, je l’engageai à aller dès lors souvent au théâtre, comme aux concerts symphoniques du dimanche, à lire des ouvrages d’esthétique musicale et d’esthétique générale, à ne se désintéresser d’aucun art, tous ayant des points de contact, à fréquenter les expositions de peinture, toutes choses qui me paraissaient devoir développer chez lui le sens du jugement.

Quelle fut ma surprise en constatant que rien de tout cela ne l’intéressait !

Il ne prenait plaisir qu’à venir assister à ma classe, ou à quelques autres dont je lui avais naïvement fait ouvrir les portes, et là, ne s’occupant nullement du travail qui s’y faisait, il passait tout son temps à jaboter avec les élèves, à se faire raconter des histoires sur les uns et les autres, sur les professeurs et leur vie privée, sur les prétendus tripotages des concours de l’Institut, et il prenait des notes sur tout ce qu’on lui disait.

Cela me paraissait déjà louche ; mais c’est seulement par un autre élève-amateur, un normalien très intelligent et sympathique, qui suivait comme lui les classes sans aucun titre officiel, et dont il avait jugé à propos, je ne sais pourquoi, de faire son confident, que je fus mis au courant du véritable état d’âme de ce charmant garçon, de cette sale gale, veux-je dire.

Tel le renard qui étudie les abords de la bergerie où il apportera demain le carnage, il se documentait traîtreusement