Page:Lavignac - Les Gaietés du Conservatoire.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

De cela advint ce qui devait advenir. Pendant le mois qui précéda le concours, le malheureux Barthol décida à part lui que tout en ayant l’air de suivre par condescendance les avis de son maître, il préparerait chez lui, dans sa petite chambre d’hôtel meublé, et à lui tout seul, son morceau de concours selon ses propres idées, en y ajoutant des traits en doubles cordes, des sons harmoniques extraordinaires, en modifiant constamment les mouvements selon la « liberté de son sentiment », en ajoutant un interminable point d’orgue, une cadence dans laquelle il prolongerait indéfiniment un certain si sur-aigu qui devait, à son avis, achever d’empaumer le jury ; et qu’il ne jouerait le morceau ainsi préparé à l’insu de son professeur qu’une seule et unique fois, le jour du concours.

C’est ce qu’il fit, le malheureux ; c’est aussi ce qui provoqua dans la salle une hilarité sans pareille, que le pauvre garçon prit pour de l’enthousiasme.

Je le vis dans la cour comme il venait de terminer ; il racontait tout cela, fébrilement, à ses amis :

« Dès que z’ai commencé, tout le monde il riait ; dézà, on sentait bien que zé n’allais pas zouer comme les autres ; eh ! eh ! moussu Alard il était clévénou blème ; alors que ze me dis : ça va bien. Alors z’ai continoué. Il y en avait qui criaient : assez ! arrêtez ! d’autres qui applaudissaient qu’on ne pouvait plou m’entendre ; alors ze m’arrêtais, et puis ze recommençais le même passaze ; alors on applaudissait encore plou fort, et on riait touzours, on était bien content, et moi aussi, et alors ze faisais rire mes cordes, et pouis ze les faisais pleurer, et on applaudissait touzours, on criait et on riait ; moi z’étais content, et ze faisais touzours des soses plous extraordinaires ; à la cadence,… tout le monde il était debout, même dans la loze du zury, qui criait et riait. Ah ! ils étaient bien contents, et moi, ze tenais le si, ze tenais le si, si, si, si, si,