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LES GAIETÉS DU CONSERVATOIRE

belle étoile ; on essayait de vendre pour quelques sous de ruban, de fil ou un paquet d’aiguilles pour avoir quelque chose à manger ; quand on n’avait rien pu vendre, on ne mangeait pas ; et en route, toujours en route…

Arrivé à Paris, il fallut vendre à perte, pour pouvoir vivre les premiers jours en se serrant le ventre, toute la petite pacotille et même la charrette.

Le malheureux père, aussi intelligent que courageux, eut cette idée géniale, en arrivant au Conservatoire, et avant de faire usage de la lettre de recommandation que lui avait remise son voisin le chef de musique, de prendre l’air du bureau, d’aller d’abord causer avec des employés subalternes, des garçons de classe, et de s’enquérir auprès d’eux des classes où il y avait le moins d’élèves, dont l’accès était le plus facile, comme aussi des instruments dont le besoin était le plus grand dans les orchestres.

Ces premiers points acquis, il s’adressa humblement, mais délibérément, au professeur de harpe d’alors, et en toute sincérité, lui raconta son histoire et sa pénible situation. Il sut l’intéresser et l’émouvoir, car ce professeur était un homme de cœur, et les hommes de cœur, à quelque milieu social qu’ils appartiennent, savent toujours se comprendre.

En quelques jours, il fut décidé que le pauvre petit entrerait comme auditeur à la classe de harpe, qu’un ancien élève, un second prix, lui donnerait des répétitions gratuites — on trouve toujours de ces dévouements au Conservatoire, — et la maison Érard, dont la charité traditionnelle est inépuisable, lui prêta, sur la demande du professeur, une belle harpe à double mouvement.

On ne peut s’imaginer l’effet étrange que produisait cet instrument si majestueux et si décoratif, avec son chapiteau gothique et ses riches volutes dorées, dans le taudis sordide