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Wagner pensait en musique, c’est-à-dire que chaque idée objective ou subjective revêtait chez lui une forme musicale, un contour mélodique qui lui restait dorénavant attaché, et on aura, je crois, la meilleure notion élémentaire de ce qu’est un Leit-motif.

C’est, en quelque sorte, la matérialisation, sous forme musicale, d’une idée, quelle qu’elle soit, et Wagner n’est ni le premier ni le seul à avoir ainsi pensé en musique, donné un corps nettement reconnaissable et perceptible par l’audition à un personnage, à un fait, ou une impression déterminée.

Le langage musical, malgré son manque de précision, et peut-être même par cela, constitue l’expression la plus haute, la plus pure et la plus sincère de la pensée humaine, la plus dégagée de matérialité et de convention. — Quiconque arrive à penser en musique comme il penserait dans une langue dont la pratique lui est familière, voit par cela même le cercle de ses idées s’élargir étrangement. — Cette faculté, dans sa plénitude, est réservée à l’élite, mais il n’est pas un seul vrai musicien qui n’en ait eu le pressentiment.

Là est l’origine du Leit-motif. Des traces embryonnaires de motifs typiques peuvent déjà être relevées dans Gluck, Mozart et Beethoven[1] ; elles deviennent plus fréquentes dans Weber, et encore plus caractérisées dans Meyerbeer et Berlioz, ceux-ci des contemporains de Wagner. On peut dire que cette faculté d’assimiler une conception intellectuelle ou un état d’âme à un contour musi-

  1. Dans ses œuvres purement symphoniques, Beethoven n’avait pas à attacher à un motif l’idée d’un personnage, mais à coup sûr chacun des motifs choisis par lui pour donner lieu à un développement est associé à une pensée philosophique qui s’en dégage, et devient par là, dans l’ordre symphonique, l’équivalent absolu de ce qu’est le Leit-motif dans l’ordre dramatique.