Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Faites lever le pont et placer des sentinelles, ma nièce. Où est votre grand-père ?

– Il dort, dit Luce.

– Tant mieux, reprit la comtesse ; venez, Luce, il faut que je vous parle en secret. »

Elle l’emmena, traversa rapidement la grande salle du rez-de-chaussée, et, conduisant sa nièce dans l’embrasure profonde d’une croisée, lui dit :

« Nous sommes vaincus. Le château de la Haye-Paisnel est repris par ces maudits Français. Votre oncle s’est embarqué ce matin à Granville. Pour moi, je vais à Barfleur, où la nef qui nous avait amenés, et qui est mienne, nous attend. Je suis venue ici pour vous emmener ainsi que mon beau-père. Il est banni, je le sais.

– Je le sais aussi, dit Luce, mais c’est par suite d’une erreur, puisque mon grand-père n’a pas pris part à la révolte. La reine le saura bientôt ; je lui ai envoyé un messager.

– Ne vous fiez pas à la reine, dit Marjory. Blanche de Castille a la fierté des Espagnols jointe à l’entêtement des Plantagenets. Elle ne se dédira point, et s’emparera du domaine et de la forteresse de Brix. Le plus sûr est de s’enfuir.

– Non, dit Luce ; s’enfuir, c’est s’avouer coupable. Jamais mon grand-père n’y consentira.

– Dans l’état où il est, reprit Marjory, il n’a pas, il ne peut pas avoir d’autre volonté que la vôtre. Partez avec moi, Luce, emmenons-le. Il possède d’assez beaux domaines en Angleterre pour se consoler de la perte de ceux-ci, et vous trouverez aisément à faire un grand mariage de l’autre côté du détroit.

– Jamais, dit Luce, je ne quitterai mon pays ! jamais je ne manquerai à la promesse que j’ai faite à mon fiancé !

– Eh bien, dit Marjory, je vous donné deux heures pour réfléchir, Nous allons faire reposer nos chevaux et prendre un peu de nourriture ; puis, aussitôt la lune levée, nous partirons pour Barfleur. Je ne me soucie point d’être faite prisonnière et d’aller écouter les souris de la tour du Louvre. »