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On était arrivé au bord du petit étang où se mirait la ferme. Le chapelain s’assit sur une souche fraîchement coupée, Luce prit place auprès de lui, et Colette et ses enfants se mirent sur le gazon.

« Or, écoutez bien, dit le père Hélier en tirant de son froc un parchemin plié avec soin. Il y a aujourd’hui dix-sept ans que la bonne Nicolette, ici présente, emporta du château une petite enfant mourante, et dont la mère venait d’expirer. Les physiciens déclaraient que l’enfant ne vivrait pas deux jours. Je la baptisai, et Colette s’écria : « Si on veut bien me la donner, je la ferai vivre, Dieu aidant ; mais il faut que je l’emporte chez nous, au Val, et que pas un de ces astrologues de malheur n’y mette les pieds. » Elle fut écoutée, et vous savez le reste.

– Oh ! oui, dit Luce en se jetant au cou de sa nourrice.

– Donc, continua le père Hélier, le baron de Brix, notre bon seigneur, à la prière de Mlle Luce, et en reconnaissance des bons soins de Colette, lui envoie ceci, que Pierre va nous lire, s’il est aussi bon clerc qu’on le dit. »

Pierre déplia le parchemin. C’était un acte en bonne forme, par lequel le seigneur de Brix donnait la ferme du Val et ses dépendances à Nicole Hamelin et à ses enfants, à seule charge de jurer foi et hommage aux seigneurs de Brix et de leur offrir tous les ans, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste, une colombe blanche et un chapel de roses vermeilles.

Colette, transportée de joie, riant, pleurant, embrassa tous ses enfants, remercia cent fois Mlle de Brix, et fit vœu de fonder une messe d’actions de grâces qui serait dite à perpétuité, tous les ans, le jour de sainte Luce, à l’église de Brix.

L’heureuse famille rentra à la ferme tandis que le père Hélier, appuyé au bras robuste de Pierre, reprenait tout joyeux le chemin du château.

Ce soir-là, il y eut fête au Val. Colette, ravie de se voir devenue dame et maîtresse de fermière qu’elle était, régala d’hydromel et de gaufres toute sa maisonnée. Luce, au lieu de souper seule d’une tasse de lait et d’une beurrée comme d’habitude, voulut présider la table et prit part à la joie