Page:Lavergne - Fleurs de France, 1924.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

table lui a envoyé un messager qui n’a mis que trois mois à venir de Jaffa en Normandie. Tout va bien ; il y a eu quelques combats, et messire Guillaume s’est si bien conduit, que le roi de Chypre l’a armé chevalier sur le champ de bataille. On dit qu’une trêve de dix ans va être conclue et que le Soudan d’Égypte cédera Jérusalem à l’empereur d’Allemagne. Le connétable reviendra sitôt son année de séjour finie, et il célébrera les noces de son fils.

– Il aurait bien dû l’envoyer au lieu de son messager, dit Colette.

– Messire Guillaume ne pouvait honorablement quitter la partie avant qu’elle fût gagnée, ma bonne Colette ; d’ailleurs le connétable est un peu malade.

– Eh bien, alors, dit Colette, il aurait dû se faire dispenser par le pape de finir son année là-bas, et revenir au logis. Voyez-vous, mon père, ces dévotions et ces expéditions d’outre-mer sont la ruine du pays chrétien, Pendant que nos barons et leurs meilleurs hommes d’armes guerroient contre la gent sarrasine, les pirates et les malandrins de terre et de mer ont beau jeu, et, sans aller plus loin, croyez bien que messire le connétable trouvera sa forêt de la Luthumière en piteux état. Mme du Hommet a beau dire, elle ne surveille pas comme le ferait son baron, et le gibier disparaît, et le bois est pillé sans qu’on y voie goutte. Et moi qui vous parle, viendrais-je à bout de gouverner les gars et de garder ma ferme en bon point, si monseigneur courait les aventures en Syrie, au lieu d’être chez lui, à tenir tous ses vassaux en respect ? Je n’ai plus mon homme, Charlot et Georget sont encore des enfants, et Pierre, avec son latin, ne m’est pas d’un grand secours, vous le savez… »

La bonne femme en aurait dit encore bien long ; car en ce temps-là, comme à présent, les ménagères normandes avaient la parole abondante, mais le père Hélier lui dit :

« Vous parlez fort bien, Colette, selon ce que vous savez, mais écoutez-moi : c’est le jour aux bonnes nouvelles. Asseyons-nous. Je suis venu de Brix à pied, et mes vieilles jambes demandent grâce. Je vous apprendrai quelque chose qui vous réjouira. »