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traînante gaieté de sa sœur de lait et des fils de Colette, les soins de la bonne nourrice et l’air du Val, moins vif que celui de Brix, étaient favorables à Luce, et sous leur douce influence elle retrouvait le calme et reprenait ses forces. Sa frêle nature avait pu s’élever jusqu’au sacrifice, mais non sans un violent effort de courage, et la résignation, qui n’est autre chose que le courage prolongé, était lente à venir dans ce cœur de seize ans. Jamais, depuis qu’elle se souvenait de quelque chose, elle n’était restée deux jours sans voir Guillaume, et depuis près d’un an elle n’avait reçu qu’une fois de ses nouvelles. Elle pleurait souvent en pensant à lui, et alors Marie disait : « Vous serez bientôt consolée, Mademoiselle. Nous apprendrons un de ces quatre matins que messire le connétable revient. »

Le lendemain d’un jour où le baron était venu voir sa petite-fille, Luce, ne l’attendant point, s’éloigna de la ferme plus que de coutume, et alla avec sa sœur de lait, Charlot et Georget, au-devant de Pierre, qui s’était rendu au prieuré de la Luthumière pour y prendre sa leçon de latin. Pierre se destinait au cloître. Tout petit enfant, les bénédictins du prieuré l’avaient distingué parmi les autres enfants du pays, et s’étaient plu à l’instruire. Pierre avait répondu à leurs soins avec tant d’application et montrait une telle piété, que les religieux se disaient entre eux : « Que pensez-vous que sera cet enfant ? » À l’époque où Luce vint au Val, Pierre avait dix-huit ans, et il savait lire et écrire comme un clerc.

Il revenait du prieuré, portant un gros livre à fermoirs, et chantant gaiement un noël, lorsqu’il aperçut dans le pré du moulin Mlle de Brix, Marie et ses jeunes frères qui venaient à sa rencontre.

« Voilà Pierre, dit Marie, qui le vit la première.

– Bonjour, mon frère Pierre, dit Luce : avez-vous bien récité vos leçons aujourd’hui ?

– Oui, Mademoiselle ; j’ai si bien travaillé, que le révérend père prieur m’a récompensé. Il m’a prêté un beau livre à images pour vous le montrer.

– Voyons cela, dit Luce en s’asseyant au pied d’un hêtre, et en ouvrant le volume sur ses genoux. Ah ! il est en latin ! quel dommage !